Chroniques littéraires

      Triste tigre

      Neige Sinno

      Les éditions P.O.L, 2023 (165 p)

      L’impasse littéraire

      La narratrice de ce récit raconte le viol qu’elle a subi de 7 à 14 ans. Elle essaie de mettre en scène, tant qu’elle le peut, le choc et la douleur que ce crime a provoqués dans sa vie. Elle nous invite également à l’accompagner dans son propre itinéraire et à revivre son douloureux vécu, elle qui avait presque sept ans quand le nouveau compagnon de sa mère a commencé à abuser d’elle. Elle s’est alors trouvée victime, isolée et murée dans le silence sans aucun secours. Le choc du traumatisme a évidemment bouleversé la chronologie des faits dans la mémoire de l’adulte qui écrit. Elle -- l’adulte -- revient alors sur ces faits pour observer à nouveau et examiner les lieux des sévices, la cave, le lit conjugal, toutes les pièces de la maison, sa maman et l’agresseur ainsi que les sentiments qu’elle vivait pendant cette période si pénible.

      C’est un ouvrage impressionnant, plein de douleurs, de tristesse et d’atrocités. Le texte nous livre, en effet, une palette d’émotions qui va de la douceur à l’agression, de l’apaisement à la folie. Ce qui m’a beaucoup plu dans ce roman de

      Sinno est la manière de raconter des faits terribles d’inceste pédophile avec beaucoup de courage et de transparence. De surcroît, le fait de se mettre dans la peau de l’agresseur bouleverse notre horizon d’attente et nous met dans une situation déstabilisante.

      On pense que l’adulte écrit pour pouvoir guérir de son passé et se donner une chance enfin de vivre un futur réconcilié avec un passé enfin dépassé. Mais non, la narratrice ne trouve pas l’abri requis dans la littérature :

      J'ai voulu y croire, j'ai voulu rêver que le royaume de la littérature m'accueillerait comme n'importe lequel des orphelins qui y trouvent refuge, mais même à travers l'art, on ne peut pas sortir vainqueur de l'abjection. La littérature ne m'a pas sauvée. Je ne suis pas sauvée.

      Selon Sinno, la littérature et l’écriture paraissent dans ce roman comme une enquête échouant à permettre à cette femme de se rassurer, de survivre en continuant à vivre.

      Maha Abu Elayyan

      Département de français

      Faculté des Langues étrangères

      Université de Jordanie, Jordanie


      L’Échiquier

      Jean-Philippe Toussaint

      Éditions de Minuit, 2023 (256 p.)

      Appréhender l’échec tout comme la réussite

      Avec L'Échiquier, Jean-Philippe Toussaint nous invite à naviguer avec lui à travers soixante-quatre chapitres, évoquant chaque case de l'échiquier comme une facette de sa vie dédiée à la littérature. Chaque chapitre devient dès lors une opportunité pour lui de partager son amour de la littérature et les événements qui l'ont façonné. Tout comme une partie d'échecs, le livre s'ouvre sur le déploiement de ses fragments, explorant sa jeunesse, ses amitiés et les souvenirs de sa maison paternelle, pour conclure par un final où le Roi atteint le mat. Toussaint nous présente un texte qui se raconte, s'invente et se recrée, mettant en lumière le désir de l’auteur de dévoiler son passé, en particulier ses liens avec le jeu d'échecs. Les soixante-quatre chapitres du livre, en parallèle aux cases de l'échiquier, servent de fil conducteur, remontant jusqu'aux origines les plus lointaines de son enfance.

      Il y est question d'une crise personnelle et existentielle de Toussaint qui évolue avec l'âge, entrelaçant habilement cette crise avec les circonstances extérieures de la COVID-19, qui imposa un confinement sévère. Le roman nous relate l'expérience de l'auteur pendant le confinement de 2020, mettant en lumière des moments clés de sa vie. La marche à travers son école d'enfance, sa jeunesse, ses lieux familiaux et son évolution personnelle. L'utilisation métaphorique de l'échiquier et les références à des endroits spécifiques construisent un récit explorant le temps, la mémoire et des questions existentielles liées à la vision du monde de Toussaint. La rencontre de l'auteur avec Madeleine marque le début d'une inspiration continue pour ses textes. Le récit évoque leurs rencontres, leurs liens avec la nature, et notamment avec la terre. Ces souvenirs, illustrés d'anecdotes, montrent l'influence de Madeleine sur la vie de l'auteur. Des années plus tard, ils se marient et assistent à un tournoi d'échecs où Gilles Andrott, ancien joueur d'échecs, apparaît dans la vie de l'auteur.

      Jean-Philippe Toussaint a pu dans ce récit nous inviter à méditer sur les dilemmes éthiques et à accepter les échecs du destin. On ne pourra ainsi jamais surmonter nos échecs qu’en apprenant à les appréhender puis à les accepter. Ce qui importe pour gagner est précisément l’attitude que l’on adopte face à ces échecs.

      Suleiman Alkhmous et Lama Hadia

      Département de français

      Faculté des Langues Étrangères

      Université de Jordanie, Jordanie

      L’Échiquier

      Jean-Philippe TOUSSAINT

      Éditions de Minuit, 2023 (256 p.)

      Le jeu de la vie

      « J’attendais la vieillesse, j’ai eu le confinement » (ch.1) : c’est par ces mots que Jean-Philippe Toussaint commence sa chronique autobiographique. J.-P. Toussaint est un écrivain belge contemporain auteur d'une dizaine de romans, tous publiés aux éditions de Minuit. Ils se caractérisent par un style minimaliste. L’auteur nous y raconte sa vie personnelle en 64 chapitres qui correspondent aux 64 cases du tablier de jeu « L’Échiquier ». Ainsi présente-t-il son enfance, ses travaux de traduction et ses réflexions sur le jeu d'échecs.

      Dans ledit roman, nous observons que l’auteur revient sur son passé et ses projets pendant le confinement de 2020. Cette crise sanitaire a été pour lui l’occasion de réécrire après une période d’arrêt assez longue. En racontant un souvenir assez pénible, il donne un petit aperçu sur son passé, raison pour laquelle le roman relève du genre « autobiographique ». Nous remarquons que le titre de son livre correspond à celui de Stefan Zweig, intitulé Le Joueur d’échecs, signe de l’admiration de Toussaint pour cet auteur. Par ailleurs, d’un point de vue psychologique, le cerveau de l’être humain ne peut pas mémoriser des moments de la vie selon un ordre chronologique, mais dégage plutôt les idées d’une manière spontanée et chaotique. Ce qui explique la répartition du roman, chaque chapitre représentant une nouvelle histoire de sa vie.

      Rien n’est plus étonnant que la disparité entre les longueurs des chapitres. En effet, il existe des chapitres très courts tels que le premier chapitre qui contient une seule phrase et d’autres qui sont trop longs. Cette différence apporte un éclairage sur les moments importants de sa vie ou montre au contraire les blancs de la mémoire. Mais quelle brillante idée de diviser le récit en 64 chapitres afin de référer à l’échiquier ! La vie humaine n’est cependant pas un jeu ! Le lien de correspondance entre la vie et le jeu s’éclaire selon ces trois possibilités : nous pourrions gagner notre vie à travers de meilleures décisions, nous pourrions échouer en faisant des faux pas ou nous pourrions encore rester seuls quand les autres partent. De plus, on notera que la forme des chapitres est fort variée dans la mesure où certains chapitres relèvent de l’actualité et non point du passé, comme dans « Le chapitre 13 ».

      Malgré les décisions que nous croyons prendre, le destin a toujours un autre choix. Pour cette raison, nous sentons que l’être humain est comme une marionnette incapable de réaction face au sort. Une philosophie pessimiste quant à la destinée se profile entre les lignes. Via cette autobiographie, J.-P. Toussaint nous transmet un message, qui est l’idée de l’instabilité. Il critique les comportements incompréhensibles des êtres humains, et tente de montrer que la peur excessive de la Covid-19 est inutile car le destin contrôle tout. Ironisant ainsi sur les mesures barrières face à cette crise, il décrit d’un mot tous les remous autour de l’épidémie : « Tout ce cirque » (ch.12).

      En guise de conclusion, nous dirons que ce récit est une plongée introspective dans les profondeurs de l’écrivain. Nous avons constaté que l’écriture était un refuge le protégeant de tous les troubles qui l’entourent. Il trouve ainsi le bon moment pour dégager ses réflexions et mettre en lumière son passé. En un mot, ce récit est bel et bien « l’échiquier de la mémoire ».

      Toka Mohamed Abd El-Aziz

      Département de Français

      Faculté de Langues (Al Alsun)

      Université Ain Chams, Égypte

      Veiller sur elle

      Jean-Baptiste Andréa

      Éditions L’iconoclaste, 2023 (592 p.)

      Hommage à l’art italien

      Jean-Baptiste Andrea est un écrivain, scénariste et réalisateur français. Il a grandi à Cannes (Institut Stanislas), avant de faire ses études à l’Institut d’Études Politiques de Paris et à l’ESCP-Europe. Ses œuvres connaissent un grand succès. Elles sont couronnées de prix réputés dans le milieu littéraire : le Grand Prix RTL-Lire Magazine Littéraire 2021, le prix Ouest-France Étonnants Voyageurs, le Prix Livres & Musiques, le Prix Relay des Voyageurs Lecteurs, etc. En tant que réalisateur, il a travaillé sur plusieurs films, très différents, allant du fantastique au thriller policier, en passant par le burlesque : Hellphone (2007), Dead End (2007), Big nothing (2007) et La Confrérie des Larmes (2014).

      « Veiller sur elle » est un roman qui se présente comme une saga fascinante qui explore les intrications de l’amour, de l’art et de l’histoire italienne au cours du XXe siècle. Dans cette épopée, les destins entrelacés de Mimo, Michelangelo Vitaliani de son vrai nom, et Viola Orsini captivent les lecteurs à travers près de 600 pages riches en émotions.

      L’histoire commence dans les années 80, alors que Mimo achève ses jours dans un couvent en Italie, à proximité de sa Pietà, un chef-d’œuvre sculpté par ses mains habiles. Cette statue, mystérieusement dissimulée par le Vatican, devient le point focal du récit. À travers les souvenirs de Mimo, le lecteur est transporté des tranchées de la Première Guerre mondiale à la tourmente de la Seconde, tout en plongeant dans les détours de l’histoire de l’art italien.

      La relation entre Mimo, issu d’une modeste naissance, et Viola, héritière de la prestigieuse famille Orsini, constitue le fil conducteur de l’intrigue. Leur amitié persiste malgré les différences sociales, faisant de Viola un mentor crucial pour Mimo. Ce dernier, malgré les railleries liées à sa petite statue, persiste dans sa passion pour la sculpture, façonnant ainsi son destin au fil des épreuves.

      Le roman excelle dans la caractérisation des personnages, notamment Mimo et Viola, dont l’amitié surpasse les difficultés. Viola, figure féminine mémorable, incarne l’émancipation à une époque où le destin des femmes semblait prédestiné dès leur naissance. Enfin, la révélation finale des secrets entourant la Pietà offre une conclusion intrigante et élégante à cette saga poignante. L’analyse des milieux sociaux, en particulier de la haute société italienne, dévoile une représentation nuancée des comportements et des relations de pouvoir.

      L’intégration habile du contexte historique, avec la montée du fascisme en toile de fond, confère une profondeur supplémentaire au récit. Les références à Michel-Ange et à d’autres maîtres de l’art italien enrichissent le voyage du lecteur à travers l’histoire de l’art, ajoutant une dimension métaphorique subtile à la simplicité de la sculpture selon Mimo.

      La révélation finale des secrets entourant la statue de Mimo est traitée avec subtilité, ajoutant une touche de suspense et invitant le lecteur à la réflexion. Cette élégance dans la conclusion du roman s’harmonise avec l’ensemble du récit, renforçant l’impact émotionnel de l’histoire.

      Pour conclure, nous pouvons dire que le roman est présenté comme un hymne poétique à la beauté, aux artistes italiens et au lien étroit entre l’amour et l’art. De plus, les réflexions profondes sur la condition féminine, la dynamique sociale et les défis individuels ajoutent des couches de complexité au récit. Cette œuvre promet une plongée captivante dans l’Italie du XXe siècle, où l’histoire, l’amour et l’art se mêlent pour former une œuvre littéraire exceptionnelle.

      Ce roman fascinant nous transporte à travers une aventure vibrante, explorant divers thèmes tels que l’art, l’amour et la politique. Il se présente comme une fresque riche en éléments

      religieux et historiques. Il m’a plu malgré quelques moments où l’intrigue ralentissait un peu. Une telle lecture offre un véritable voyage, bien qu’elle soit parfois ponctuée de quelques longueurs.

      Hanine Ahmed Abdel Moneim

      Département de Français

      Faculté de langues (Al-Alsun)

      Université Ain-Shams, Egypte

      Une façon d'aimer

      Dominique Barbéris

      Éditions Gallimard, 2023 (208 p.)

      Une Mélodie dans l'Ombre

      « S’il ne reste aucune trace, est-ce qu’on ne peut pas douter de ce qu’on a vécu ? » Dans la pénombre oubliée d'un repli caché, des figures effacées et des amours évanescentes appellent Barbéris. Ils lui susurrent les accords d'une mélodie douce, imprégnée de la réminiscence du passé. Une symphonie familière à tous, mais dont les paroles échappent à une mémoire exhaustive. Par peur de laisser s'évanouir chaque nuance, elle livre à sa narratrice les feuillets intimes de son histoire africaine, insufflant à ces pages une chaleur familière. D'un geste délicat, elle caresse du bout des doigts la poussière d'une époque révolue, révélant les mots gravés d'un portrait aux teintes jaunies : « Douala, allée des Cocotiers, 1958 ».

      Après le triomphe de Un dimanche à Ville-d'Avray, Dominique Barbéris nous offre Une façon d'aimer, une preuve transcrite de son Afrique d’enfance illuminant ainsi « le mystère obscur d'avoir vécu ». C’est un roman historique qui nous convie à une escapade dans les années 50 de l'Afrique, évoquant un passé capturé par des photographies qui, avec le temps, ont vu leurs teintes s'estomper. Ce sont des chansons qui chantent « une histoire sage, une vie retirée et discrète traversée d’un bref coup de folie, une romance secrète. », qui rappellent une Madeleine discrète, délicate, énigmatique avec un air de Michèle Morgan. À quoi ressemblait sa vie ? « Difficile de savoir ce qui arrive à une femme ». C'est incroyable comment une simple chanson peut évoquer une palette si riche d'émotions, avec une femme quittant Nantes pour un périple en Afrique après son union avec Guy, qui était éperdument épris d'elle. Sa mère le surnommait toujours "l’Africain", même s'il venait de Vertou, en Loire-Atlantique. C'est au croisement des “ou la la !” de son boy et des bals de Jacqueline que Madeleine fait la rencontre d'un homme d'une quarantaine d'années, de stature moyenne et aux cheveux bruns, « L’homme en question s’appelait Prigent, Yves Prigent ». C'est à l'instant où « Prigent prit Madeleine par la taille » que tout commença à prendre une tournure délicate.

      Si j'avais la possibilité de souligner et d'encadrer chaque page de ce livre, je l'aurais fait volontiers, une dentelle d'une délicatesse remarquable, empreinte d'une féminité subtile, où l'on perçoit dès les premières pages l'oralité d'une femme. C’est un récit que j'ai dévoré avec lenteur, réticente à perdre ne serait-ce qu'une miette de son essence. Je ne puis vous promettre un coup de cœur, mais je peux vous assurer avoir découvert l'ombre, la lumière et une façon d’aimer.

      Lyne Mahfouz

      Département de Littérature et Langue Françaises

      Faculté des Lettres et des Sciences Humaines II

      Université Libanaise

      Croix de Cendre

      Antoine Sénanque

      Éditions Grasset, 2023, (432 p.)

      Au-delà des cendres ; La croix du Silence

      Prenez place dans un voyage époustouflant à travers les siècles avec Croix de cendre, le tout dernier roman d'André Sénanque. Plongez au cœur de l'histoire médiévale, guidé par une plume acérée qui vous transporte dans les méandres de la vie des moines dominicains.

      Édité par Grasset, cet ouvrage de la collection « Littérature Française » promet une expérience littéraire inoubliable. Préparez-vous à être envoûté par les 432 pages riches en rebondissements et les 52 chapitres qui se succèdent, offrant un rythme haletant à cette saga captivante. L'auteur, connu pour son talent à dépeindre avec audace des univers différents, explore ici les thèmes profonds et universels avec une finesse et une profondeur qui ne manqueront pas de vous captiver.

      Dans un enchevêtrement subtil entre le cerveau et la plume, le neurologue écrivain se sert habilement de ses compétences professionnelles et de son art, pour nous faire revivre l’analepse des moments cruciaux dans la vie de Maître Eckhart (personnage réel). Le destin de ce dernier se mêle à la tragédie du siège de Kaffa en 1348, point de départ de la redoutable Grande Peste qui dévasta l'Europe. Encouragés par Guillaume, le Prieur de leur monastère, deux jeunes dominicains se rendent à Toulouse pour obtenir du vélin et de l'encre spéciale, afin que Guillaume puisse raconter ses souvenirs de moments partagés avec Maître Eckhart. Mais à Toulouse, l'Inquisiteur fait emprisonner l'un des jeunes hommes, dans le but d'obtenir de son ami une copie de l'histoire de Guillaume. L'auteur nous embarque dans un tourbillon de douleurs, de trahisons et de haines, mais aussi dans des moments de sacrifice ultime pour Dieu. Portrait captivant de l'Europe religieuse au 14ème siècle, ce roman nous plonge au cœur d'une époque marquée par des dérives choquantes. Les béguinages, ces communautés de femmes oscillant entre une vie sans véritable engagement religieux et l'hérésie, sont présentés de manière saisissante par l'auteur Antoine Sénanque. En toile de fond, la présence de la Papauté à Avignon et les rivalités féroces entre les ordres dominicain et franciscain ajoutent une tension palpitante à l'intrigue.

      La lecture de ce roman nous rappelle les affres de la trahison de Jésus-Christ, à travers le personnage de Judas Iscariote. Le rôle pernicieux joué par le Pape, semant la peste par le biais de missionnaires dominicains, résonne comme une trahison indirecte envers la foi chrétienne, rappelant la trahison de Judas envers Jésus. Ces éléments se mêlent pour former un tissu complexe de symboles et de nombreuses questions en suspens, révélant les conflits intérieurs et les tourments spirituels des personnages, tout en soulignant les sombres vérités susceptibles d'ébranler les croyances profondément enracinées.

      Dans ce monde impitoyable, le charme est une denrée si rare. Mais chez Antoine Sénanque, avec son univers poétique, désenchanté, caustique, et sa population de messieurs Jadis, on trouve un soupçon de gravité sous une tonne de légèreté.

      Rien de vraiment vital, juste ce petit quelque chose qui fait toute la différence.

      Ce livre n’ouvrirait-il pas un espace de réflexion sur la résurgence du traditionalisme et le spectre du fondamentalisme dans la pratique moderne de nos religions ?

      Viviane El Helou

      Département de Littérature et de Lettres Françaises

      Faculté des Lettres et des Sciences Humaines II

      Université Libanaise, Liban


      Veiller sur elle

      Jean-Baptiste Andréa

      Éditions L’iconoclaste, 2023 (592 p.)

      Un dernier souffle

      Les événements du roman ont eu lieu au XXe siècle en 1986 en Italie, où notre héros Michelangelo Vitaliani, surnommé Mimo, raconte son histoire alors qu'il est près de rendre son dernier souffle, sur son lit de mort, après avoir vécu dans l’isolement d’une abbaye italienne pendant 40 ans, à veiller sur son chef-d'œuvre sacré. Il a commencé par les événements de la Première Guerre mondiale, dont l'un des effets douloureux était la mort du père de Michelangelo. En conséquence, sa mère Antonella a décidé de l'envoyer chez son oncle Alberto, qui était violent, cruel et alcoolique, mais Mimo a quand même pu bénéficier quelque peu de son oncle. En effet, il a appris de lui l'art de la sculpture qui a créé des miracles :

      Sculpter, c’est très simple. C’est juste enlever des couches d’histoires, d’anecdotes, celles qui sont inutiles, jusqu’à atteindre l’histoire qui nous concerne tous, toi et moi et cette ville et le pays entier, l’histoire qu’on ne peut plus réduire sans l’endommager. Et c’est là qu’il faut arrêter de frapper.

      Lorsque Mimo a eu treize ans, un premier changement s'est opéré dans sa vie. Le destin l'a réuni avec Viola, la fille de la famille Orsini, l'une des familles les plus puissantes d'Italie. Ces deux avaient les mêmes ambitions. Viola rêvait de voler, de vivre une vie qui ne serait pas gouvernée par son père, lequel était sur le point de la marier de force à un homme riche. Et Mimo avait l'habitude de rêver de gloire et de richesse pour mettre fin à son état misérable et se débarrasser de sa pauvreté. Ils se rencontraient secrètement dans les tombes de Petra d’Alba, un endroit qui impressionne Viola. Un lien caché d'amitié s'est ainsi développé entre eux, lien que personne d'autre n'a remarqué. Là, ils se sont promis de ne pas être séparés malgré l'impossibilité de pérenniser leur rencontre.

      Pendant ce temps, Mimo réalise sa sculpture, la Pièta qui, à chaque fois qu'il la regarde, évoque pour lui son passé. Elle a surpris tout le monde avec sa beauté, ce qui a ennuyé le Vatican qui l'a soustraite à la vue et a également essayé de la détruire par les mains de Laszlo Toth. C'était l'une des raisons de la renommée de Mimo et en même temps l'une des causes de sa grande tristesse et de ses sacrifices.

      C’est une pietà. Tu sais ce que c’est ?

      – non

      – Une représentation de la mater dolorosa. Une mère qui pleure son enfant au pied de la croix.

      C’est un maître anonyme du dix-septième siècle.

      C’est un roman magique et attirant, plein d'excitation et de mystère. Jean-Baptiste Andréa a pu cultiver une intensité dans son texte, ce qui nous a amené à nous identifier facilement à son univers fictionnel. Ce qui nous a également fait rêver, c’est d’aller visiter les endroits mentionnés dans le texte, stimulés par la description pittoresque et intéressante de lieux.

      Sara Al-Amarneh

      Département de Français

      Faculté de langues étrangères

      Université de Jordanie, Jordanie

      Proust, roman familial

      Laure Murat,

      Éditions Robert Laffont, 2023 (256 p.)

      Un roman de réconciliation avec le passé

      Le roman familial de Proust de Laure Murat explore la découverte par l'auteure du monde de son enfance et du monde de l'aristocratie, en abordant divers aspects liés à Proust, qui vont de l'influence de l'aristocratie sur ses écrits aux détails particulièrement intéressants de sa vie.

      Les sujets incluent en effet une fascination pour les détails aristocratiques, le "syndrome d’Obélix" comme un lien avec le passé et la dualité de l’aristocratie proustienne. Laure Murat se remémore les détails de la vie de Proust, les liens familiaux et les éléments inexplorés de sa vie ainsi que la connexion de son existence avec la relation complexe qu’il entretenait avec sa mère.

      Les fragments du roman offrent une vision riche et nuancée; le texte explore la dualité de la coquille aristocratique, laissant entrevoir le vide derrière la forme pleine. L'auteure décrit également les rencontres de Proust à l'hôtel Murat, ce qui complique les relations familiales; elle relate les recherches sur Albert Le Cuziat, modèle de Proust, et évoque la visite effectuée par ce dernier à Venise. Cela se fait toujours en soulignant les thèmes de l'homosexualité, des relations familiales et des héritages émotionnels: « Proust ayant eu, d’une part, plusieurs inclinations sentimentales et très fugitives pour d’autres femmes, ses grandes amours étant, d’autre part, exclusivement réservées aux hommes. » Les enquêtes sur les photographies et la correspondance perdue ajoutent une dimension inattendue à l'exploration de l'aristocratie proustienne.

      L'auteure nous raconte comment la lecture de À la recherche du temps perdu a changé sa perception du monde, mettant en avant le pouvoir consolant de la littérature pour se comprendre soi-même mais aussi pour mieux saisir la réalité: « À chaque lecture, Proust a modifié ma compréhension du monde », souligne-t-elle. La recherche constante de compréhension et de savoir suscitée par Proust devient dès lors une source d'enrichissement et d'élévation au-delà des douleurs de la vie:

      Et là, ma vie a changé. Proust savait mieux que moi ce que je traversais. il me montrait à quel point l'aristocratie est un univers de formes vides. Avant même ma rupture avec ma propre famille, il m'offrait une méditation sur l'exil intérieur vécu par celles et ceux qui s'écartent des normes sociales et sexuelles. Proust ne m'a pas seulement décillée sur mon milieu d'origine. Il m'a constituée comme sujet, lectrice active de ma propre vie, en me révélant le pouvoir d'émancipation de la littérature, qui est aussi un pouvoir de consolation et de réconciliation avec le Temps.

      En somme, Proust se révèle non seulement consolateur mais salvateur pour l'auteure. Enfin, le roman de Laure Murat, issu d'une lecture des œuvres de Proust, impressionne par l'intelligence et la justesse de ses analyses et sa capacité à les relier à sa propre vie, permettant de mieux la comprendre alors qu'elle exprime à travers elle son rapport à sa famille, ses choix

      de vie, son orientation sexuelle, sa manière de s'ouvrir et de se nourrir : « Proust savait mieux que moi ce que je traversais. Il me montrait à quel point l'aristocratie est un univers de formes vides. »

      Lama Hadia

      Département de français

      Faculté de langues étrangères

      Université de Jordanie, Jordanie

      L’échiquier

      Jean-Philippe Toussaint 

      Éditions de Minuit, 2023 (256 p.)

      L’échiquier, un "je" en 64 cases

      Quoi de mieux que de partager ses souvenirs autour d’une bonne partie d’échecs pour faire passer l’ennui du confinement ?

      La Covid19 a confiné le monde entier entre les murs de leur maison et certains, comme Jean-Philippe Toussaint, ont profité de cette situation pour laisser libre cours à leur créativité. L’auteur se livre pour la toute première fois à l'exercice de l'autobiographie dans L’Échiquier, en parallèle à la traduction du Joueur d’échecs de Zweig, devenu entre-temps Échecs (Minuit, 2023).

      Chevauchant le dos de son cavalier (oui, le petit cheval des échecs), il saute d’une case à une autre de sa mémoire, au gré de ses souvenirs, sans ordre précis, et sans passer deux fois par une même case.

      Commence alors une magnifique partie en solitaire où l'équilibre entre l'intime et le romanesque est tout simplement parfait, accompagné d’une pointe de nostalgie face au temps qui s'écoule, similaire aux parties que l'on ne pourra jamais reproduire, tout cela avec des phrases écrites avec un style minimaliste mais très travaillé ; le produit final est donc une des plus belles autobiographies jamais écrites.

      L’ordre des souvenirs nous paraît anodin au départ, mais lorsqu’on sait que Toussaint a déjà une bonne vingtaine de romans à son actif, on comprend que rien n’est laissé au hasard. Chaque chapitre, chaque mouvement est calculé comme ceux des grands maitres d’échecs, l’auteur étant lui-même un des grands maitres de la littérature.

      Toussaint dit lui-même dans ses pages : « Pour moi, dès l'origine, la littérature et les échecs ont toujours eu partie liée ». Il ajoute : « j'étais là, immobile, devant l'échiquier de ma mémoire – et j'y resterais tout au long de ces pages, c'est le présent de ce livre, c'est son présent infini ».

      Il s’agit d’un roman autobiographique qui ne ressemble pas aux autres, c’est une belle surprise pour les lecteurs qui, comme moi, n’apprécient pas les romans autobiographiques. L’originalité et la sincérité qu’on ressent à chaque ligne du roman nous poussent constamment à dévorer chaque mot de chaque chapitre.

      Lors de la lecture, on se sent comme figé dans le temps.

      Pour ceux qui ont l’impression que la vie court trop rapidement et qui ont vraiment besoin d’une petite pause dans ce quotidien de plus en plus chaotique, ce livre est fait pour vous.

      Marianne Andary

      Département de Littérature et Langue Françaises

      Faculté des Lettres et des Sciences Humaines II Université Libanaise, Liban

      L’Échiquier

      Jean-Philippe TOUSSAINT

      Éditions de Minuit, 2023 (256 p.)

      Le survivant

      « Je voulais que ce livre traite autant des ouvertures que des fins de partie, je voulais que ce livre me raconte, m'invente, me recrée, m'établisse et me prolonge. Je voulais dire ma jeunesse et mon adolescence dans ce livre, je voulais débobiner, depuis ses origines, mes relations avec le jeu d'échecs, je voulais faire du jeu d'échecs le fil d'Ariane de ce livre et remonter ce fil jusqu'aux temps les plus reculés de mon enfance, je voulais qu'il y ait soixante- quatre chapitres dans ce livre, comme les soixante-quatre cases d'un échiquier. »

      Un passage que j'ai mémorisé dès la toute première lecture ! Et c'est une première !

      Se retrouvant soudain coincé dans son appartement bruxellois à cause de l’affreuse crise sanitaire du Covid-19, Jean-Philippe Toussaint se voit dans l'obligation de se trouver une occupation. Du coup, il apporte au monde ce livre, d’après lui, distinct de ses semblables. Il le baptise L’Échiquier, tout court. Il nous prend dans un voyage ou plutôt une plongée de réflexions, de pensées, de souvenirs et de penchants. Un journal intime !

      Bien que sorti un peu tardivement, ce journal intime évoque l’un des plus pénibles et plus compliqués tournants de l’histoire de l’humanité : la pandémie. Surgi d’on ne sait où, nous prenant de court, ce mal contraint chacun d’entre nous à s’aménager des échappatoires, afin de fuir le lourd désordre mental généré par le bouleversement inopiné de notre quotidien.

      Segmenté en 64 fragments, tout comme les cases d’échiquier, ce journal intime est un ouvrage de première classe. Avec une plume lente et calme, Toussaint nous expose sa famille, ses souvenirs d’enfance, ses prédilections, ses errances, ses rencontres et ses transports. Très peu de lecteurs, pour ne pas dire aucun, échapperont à la gifle dynamisante qu’apporte ce livre. L'on a tous un peu la gorge serrée dans certains passages car l'étranglement du confinement nous retraverse l'esprit au bout d'un moment. Une solitude. Une angoisse. Une panique. Un suspense.

      Il s'agit de 130 pages qui nous emmènent dans une promenade sur la lassitude de la vie, la fragilité de l'être humain que nous sommes.

      D’ailleurs, le merveilleux Toussaint met la lumière sur une réflexion d'une grande profondeur : « L'écriture est cet abri mental dans lequel je me réfugie pour résister au monde. Le livre, pendant que je l’écris, devient un sanctuaire, un lieu clos où je suis protégé des offenses du monde extérieur. » Un énoncé que je soutiens avec conviction, énergie et émotion. Car, d'évidence, l’écriture constitue l’une des meilleures thérapies dans notre monde chaotique.

      Un livre hyper touchant, superbement écrit, pour ne dire que cela. Néanmoins, sur le plan langagier, il n'est pas vraiment facile d’accès Il peut même s'avérer irritant, parce que chargé de passages souvent superflus et de descriptions à caractère ennuyeux, qui, je le crois, ralentissent le rythme du récit.

      Le titre dégage une certaine élégance. L'incipit, quant à lui, cultive l'envie de poursuivre la lecture, histoire de vouloir en savoir davantage sur la pandémie et ses nuisibles effets sur les différentes parties du globe. Certes, les souvenirs que nous en avons sont loin d'être doux, mais

      une chose est sûre, si l'on écrit, c'est forcément pour raconter quelque chose qui en vaut la peine. Je recommande alors non seulement la lecture de cet ouvrage mais également la plume de Toussaint, que j'adore désormais. Même si lire le présent bouquin nécessiterait de s’aider de quelques informations relatives au fameux jeu d’échecs, car sinon le risque d’en sortir sans avoir capté grand chose serait élevé, sa lecture est vraiment d’un apport précieux.

      Khalid Mohammed

      Département de Français

      Faculté des Lettres

      Université de Khartoum

      Une façon d’aimer

      Dominique Barbéris.

      Éditions Gallimard, 2023 (208 p.)

      L’amour interdit

      Une façon d’aimer de Dominique Barbéris raconte l’histoire d’une jeune femme qui s’appelle Madeleine. Cette dernière vivait à Nantes avec ses parents, des maraîchers, puis à l’âge de 26 ans, elle rencontre un jeune homme tout à fait charmant et gentil, Guy, avec qui elle se marie. Puisque Guy travaillait au Cameroun à Douala, Madeleine s’installe à Douala avec lui. Le fruit de leur mariage est une fille nommée Sophie. À Douala, lors d'un bal à la Délégation, Madeleine s'éprend d'Yves Prigent, mi-administrateur, mi-aventurier : “Il n'était pas très grand ; des cheveux bruns, peignés en arrière et crantés, le front haut, une chemisette avec des pattes sur l'épaule. Il sourit en fumant. Puis tendit la main à Madeleine : Vous dansez ? Elle s'excusa : Non, je danse très peu, je ne danse pas bien. Mais il insista et il la tira vers la piste”. Mais à la fin de ce roman, Yves meurt dans un terrible accident d’avion.

      La narratrice de ce récit, qui est la nièce de Madeleine, imagine ce qui a pu se passer au Cameroun avec sa tante. Elle essaie de nous décrire les amours interdits, la vie entre le couple, les émotions ressenties et cachées. Elle s’efforce donc d’explorer l’histoire de la tante Madeleine, qui appartenait à la génération des années cinquante, la génération de la guerre. Cet ouvrage nous rappelle évidemment Madame Bovary et nous livre une palette d’émotions qui va de la douceur à la tristesse, de l’amour à la séparation et la frustration.

      Ce qui m’a beaucoup plu dans ce texte est la sensibilité de la trame narrative par laquelle l’auteure a réussi à nous communiquer toute la complexité d'une vie de femme ayant dans ses plis les nuances de ses émotions, de ses décisions et choix. On y parle aussi de la condition humaine et de l’environnement, de la politique et de la vie sociale de l’homme. S’y ajoute les chansons qui ont ajouté au texte de la vraisemblance et du dynamisme.

      Randa Radwan

      Département de français

      Faculté des langues étrangères

      Université de Jordanie, Jordanie

      Une façon d’aimer

      Dominique Barbéris

      Editions Gallimard, 2023 (208 p.)

      Souvenir d’un amour secret

      Née en 1958 au Cameroun dans une famille d’origine nantaise, Dominique Barbéris est une romancière française, auteure d'études littéraires, enseignante universitaire et spécialiste en stylistique et ateliers d'écriture. Début septembre, son roman « Une façon d’aimer » remporte le Prix des Libraires de Nancy- Le point 2023.

      Ce roman raconte l’histoire d’une ancienne photographie que la narratrice a trouvée et qui a déclenché chez elle maints souvenirs, notamment ceux liés à la vie de sa tante Madeleine dans les années 1950. Celle-ci était une femme très élégante, belle et discrète, née à Nantes et mariée à un homme qui s’appelait Guy. Après son mariage, elle partit avec son mari à Douala au Cameroun, qui était à l’époque une colonie française. Les années 50 au Cameroun étaient jalonnées d’incidents politiques car les indépendantistes voulaient libérer leur patrie du colonialisme français. Dès son premier jour dans ce nouveau pays, elle découvrit une vie totalement différente et se trouva plongée dans un monde différent. Au début, elle avait peur mais peu à peu elle s’est habituée à sa nouvelle vie. Le couple a eu une fille appelée Sophie, née à Douala. L’auteure dans son roman a mis l’accent sur les relations illégitimes et les rencontres furtives qui survenaient entre femmes et amants.

      À travers les photos, les lettres et les enveloppes envoyées par la tante à sa sœur, notre narratrice, nièce de Madeleine, a pu nous faire pénétrer dans une histoire plutôt réaliste. Elle rapporte en particulier la rencontre de sa tante avec un certain Yves Prigent, un homme marié qui travaillait à Yaoundé, laissant sa femme et ses enfants en France. Il admirait Madeleine qui avait commencé à avoir des sentiments envers lui. Ils se rencontrèrent de temps à autre en secret. Leur passion grandit et peu de temps après, cette relation fut découverte, suscitant la colère du mari. La disparition du vol Douala-Yaoundé, avec à son bord Prigent, fut un choc pour Madeleine qui a essayé coûte que coûte de cacher ses sentiments. Elle, son mari et leur fille retournèrent alors en France pour y vivre ensemble comme une famille ordinaire. Cependant, Madeleine ne sera plus jamais comme avant ; elle est devenue la plupart du temps silencieuse, ce qui était peut-être sa façon d’aimer. Impossible de rester intact après un amour, non?

      Tout au long du roman, l’auteure parvient à retenir notre attention par la description détaillée des vêtements que portait chacun durant cette période, des paysages propres à Nantes et à Douala et des divers protagonistes du roman. Son style est magnifique. Ce qui caractérise son écriture est l’utilisation de chansons à plusieurs reprises et dans différentes circonstances.

      Par sa plume, l’auteure essaye d’esquisser une toile du Cameroun des années 50. Elle utilise une langue facile et un vocabulaire compréhensible à tous. Sa manière d’écrire nous rend toujours désireux de continuer la lecture pour connaître la suite. Notre curiosité est attisée au fil de la lecture.

      En tournant les pages, nous sentons que nous faisons partie de cette histoire, de cette période difficile de la colonisation et de cet amour secret. Madeleine est une femme tiraillée,

      victime de ses sentiments, cherchant à ne pas tromper son mari. Néanmoins, l’amour est une flamme difficile à éteindre.

      Une façon d’aimer est un roman plein d’événements et de vivacité. Ce qui le rend attirant est que l’auteure, par son don d’écriture, a pu en faire un roman à la fois historique et sensationnel.

      C’est une histoire qui raconte la vie de Madeleine depuis sa jeunesse jusqu’à sa mort, la vie d’un mari amoureux de sa femme, qui décide de lui pardonner et de continuer à l’aimer malgré tout ce qui s’est passé. Cette histoire nous montre la tolérance du couple d’autrefois qui laissait passer, qui partageait ensemble les bons ou les mauvais moments et qui grandissait ensemble. Ils ne se sont pas séparés jusqu’à leur mort.

      Nadine Michel Nakhla

      Département de français

      Faculté de Langues (Al-Alsun)

      Université Ain-Shams, Égypte

      Triste tigre

      Neige Sinno

      Éditions P.O.L, 2023 (288 p.)

      Un serpent se mord la queue

      « Le tabou, dans notre culture, ce n’est pas le viol lui-même, qui est pratiqué partout, c’est d’en parler, de l’envisager, de l’analyser. »

      Faire parler une victime de viol est sans doute aucun la chose la plus difficile qui soit !

      C’est en se mettant dans la peau du criminel que Sinno, dans son Triste Tigre, nous dévoile une enfance usurpée par l’agression sexuelle qu’elle a subi sans trêve de la part de son beau-père entre l’âge de 7 et 14 ans. En feuilletant le livre, on peut assez clairement apprendre que l’autrice met l’accent, non seulement sur le délit et le délinquant, mais aussi sur la société qui humilie, opprime et stigmatise la victime au lieu de lui tendre la main afin de l’aider à s’en sortir sans handicap moral.

      Encore que le titre ne m’ait point parlé à première vue, quelque chose que je ne comprends toujours pas m’a poussé à entamer cette émouvante lecture. Une fois arrivé au bout, je me suis rendu compte de ce que j’aurais raté si je ne l’avais pas faite, car, dans cette œuvre autobiographique, l’écrivaine est parvenue, comme peu de ses semblables, à raconter l’irracontable, à dire l'indicible et à lever le rideau sur des questions et polémiques qui touchent et ne cessent de faire débat dans presque toutes les plates-formes importantes.

      Pur, dur et sincère, ce livre cristallise les principaux traits de la littérature. L’autrice, afin de sensibiliser le lectorat au mal que vivent les enfants dans des entourages incestueux, fait des confidences graves, très graves. Je trouve que, malgré la profondeur thématique que porte le livre, le style et la plume restent simples, fluides et expressifs, permettant ainsi d’aisément tisser un lien intime entre l’écrivaine et le lecteur. Un lien qui pave le chemin pour les confessions à venir.

      La lecture de cet ouvrage suscite, inévitablement, au tréfonds de son lecteur, un ressentiment intense, un grand malaise, un vrai chamboulement. Je me suis, en toute franchise, beaucoup demandé comment certains écrivains, dont Sinno, arrivent à avoir l'audace et le courage de se confier à fond ? Est-ce en raison de la gravité ou de la grandeur de ce qu’ils portent dans le cœur ? Les lectures que je fais de manière hebdomadaire, depuis des années, ne réussissent toujours pas à fournir des éléments de réponse à cette question.

      Si Triste tigre était à décrire en un mot, je dirais : émotion. À lire et à relire !

      Je termine par un petit message : Écoutons ce que la victime a à dire. Laissons-la s'exprimer dans ses mots, à sa façon, à son rythme, et surtout sans porter de jugement. NE PAS poser de questions suggestives ni essayer de lui soutirer des détails. Évitons de parler sans arrêt ou à sa place si elle cherche ses mots ! Courage à toutes les victimes de viol !

      Khalid Mohammed

      Département de Français

      Faculté des Lettres

      Université de Khartoum

      Proust, roman familial

      Laure Murat,

      Éditions Robert Laffont, 2023 (256 p.)

      L’aristocratie dans le « roman familial »

      « À l’aristocratie est souvent rattaché le mot prestige. Personnellement, je préfère le « proustige », déclare l’historienne, journaliste, professeure de littérature et écrivaine Laure Murat, qui publie cette année son roman sur l’aristocratie intitulé Proust, roman familial, pour lequel elle obtient le prix Médicis essai 2023.

      Personnage principal de cette œuvre, Laure Murat a longtemps résisté au désir d’écrire ce livre. Toutefois elle finit par révéler qu’elle est née dans une famille appartenant à la noblesse. Sa famille du côté paternel, les Murat, est une noblesse d’Empire alors que du côté de sa mère, les De Luynes est une noblesse d’Ancien Régime. L’écrivaine est ainsi descendante de Joachim Murat, le beau-frère de Napoléon, fils d’aubergiste, devenu ensuite Maréchal d’Empire et roi de Naples. « Chaque fois que, dans la conversation, surgissait l’expression "on n’est pas sorti de l’auberge", on ne manquait jamais d’ajouter : "eh bien si, justement" ».

      Ainsi, née au sein de la noblesse, son avenir est déterminé par un « beau mariage » et une vie réglée par les contraintes et les apparences qui régissent son milieu. Cependant, l’auteure se révolte en acceptant ses propres convictions et aussi son homosexualité que la noblesse ne « tolère » que si elle est dissimulée. À l’âge de 19 ans, elle quitte donc le milieu parental dans lequel elle ne se retrouve plus. Un an plus tard, elle plonge dans les sept volumes de La Recherche de Marcel Proust (Notez Bien : Laure Murat a lu La Recherche quatre fois en entier). Grâce à la lecture de l’œuvre de Proust, l’historienne comprend mieux le fonctionnement de son milieu pour mieux s’en extraire par la suite : dans les pages de ce volume et dans chaque ligne, elle découvre que la société qui y est décrite dans le roman de Proust correspond à celle qu’elle a connue.

      Le lecteur peut ressentir la présence de Marcel Proust dans les romans de Laure Murat en général, et notamment dans ce roman : « à chaque lecture, Proust a modifié ma compréhension du monde […] Il m’a sortie de l’ignorance et de la confusion ». Le lecteur a alors l’impression qu’il est face à un double roman : d’un côté le roman de Laure Murat où elle dévoile les principes d’une éducation forgés par l’aristocratie, et de l’autre, le roman de Proust, La Recherche, dont l’influence se voit incorporée clairement dans celui de Murat.

      L’influence de Proust et de son roman est également mise en évidence au niveau du titre. Au départ, l’écrivaine a choisi d’intituler son œuvre « Proust ou la consolidation » mais après s’être plongée dans l’écriture, elle s’est retrouvée en fin de compte au milieu d’un « roman familial ».

      Laure Murat a un style d’écriture clair, simple et efficace. Elle évite les généralisations. La pure subjectivité qu’elle met dans ce qu’elle raconte et son sens de l’humour suscitent la curiosité de ses lecteurs, leur désir de découvrir Proust et de mieux comprendre les sept volumes de La Recherche, ce grand livre de l’inversion de tous les temps et ce dans tous les sens du terme.

      D’ailleurs, quand on lit la phrase du roman par laquelle nous avons voulu commencer cette chronique, et qui substitue « proustige » à « prestige », lorsqu’il s’agit d’aristocratie, l’on prend conscience de l’impact de ces mots. Ce dernier est si grand sur le lecteur qu’il ne peut continuer la lecture du roman qu’à travers les yeux de Proust, son regard et sa vision des choses de son siècle et de son milieu. Le lecteur ne voit plus l’aristocratie telle qu’on a toujours voulu la montrer. Nous avons tendance à croire en effet que l’aristocratie se compose surtout des gens nobles, intellectuels et bien éduqués. Mais en vérité, sous la plume de Murat, en grande partie influencée par Proust, l’aristocratie prend une toute autre allure, complètement opposée aux idées préconçues. Ainsi Murat évoque-t-elle dans son roman des gens appartenant à cette classe sociale mais qui n’ont rien de noble, et qui de plus ne sont pas vraiment éduqués, des gens dont le savoir-vivre assimilé est tout bonnement plaqué car s’ils ne l’appliquent pas, ils courront le risque de se voir expulsés de ce cercle fermé auxquels ils appartiennent. C’est ce qui est arrivé en réalité à Laure Murat elle-même.

      Ceci dit, ce roman nous invite surtout à une réflexion plus profonde sur l’aristocratie : jeu social ou réalité ?

      Maria Abou Jaoudeh

      Département de Littérature et de Lettres Françaises

      Faculté des Lettres et des Sciences Humaines II

      Université Libanaise, Liban

      Humus

      Gaspard Koenig

      Editions L’Observatoire, 2023 (p. 379)

      L'Avenir lombricien

      Gaspard Koenig publie le 23 août 2023 Humus, un roman portant sur le sujet de l'éco-anxiété. À travers les pages de Humus, qui signifie "terre", nous suivons l'histoire de deux jeunes étudiants en ingénierie agronomique.

      Un peu comme toute leur génération, c'est-à-dire la génération actuelle, ces deux jeunes, Kevin et Arthur, sont en pleine prise de conscience écologique. Mais ce qui les distingue des autres étudiants, c'est qu'ils sont des "bifurqueurs" : en effet, ils empruntent un parcours différent du parcours traditionnel de l'agro-industrie pour essayer d'innover avec des expériences plus réalistes que l'écologie réelle. Chacun prend un chemin différent. D'un côté, nous avons Kevin qui s'oriente davantage vers le capitalisme vert, les start-ups ainsi que les investissements. De l'autre, Arthur qui choisit de suivre une voie de néo-ruralité de plus en plus radicale et politisée.

      Malgré ces deux chemins opposés, les deux étudiants ont un point en commun sur lequel ils s’entendent : les vers de terre.

      En effet, ayant assisté à un cours sur les vers de terre – cours qui d’ailleurs a été à l’origine de leur rencontre – ils se rendent compte que le ver de terre est un animal qui est, non seulement extrêmement précieux, mais aussi, en voie de disparition à cause des insecticides et du labour profond. À leur manière, chacun va s’interroger sur la manière de résoudre cette problématique.

      Dans son œuvre, Gaspard Koenig met en avant toute la complexité de notre société par rapport à cette problématique, ou devrais-je dire ce « défi ». Il met en lumière l’hypocrisie des deux mondes, celui du capitalisme vert et celui de la radicalité néo-rurale.

      Ce qui fait avant tout le point fort de ce roman, ce sont les divers sujets entremêlés : les personnages, l'écologie, les clichés, la politique et la révolte. Humus se démarque ainsi par ses thèmes très riches et variés qui poussent le lecteur à se remettre en question.

      Par ses arguments ainsi que la simplicité de son style, Gaspard Koenig nous montre la tristesse de notre société et l'extrémisme dans les deux mondes présentés. Le message est philosophique et se prête à des interprétations multiples et différentes.

      Humus est une œuvre que je recommande fortement. Elle est unique en son genre et mérite d’être lue.

      Pia Azwat

      Département de Langue et Littérature Françaises

      Faculté des Lettres et Sciences Humaines II

      Université Libanaise, Liban


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