Chroniques littéraires


      Triste tigre

      Neige Sinno

      Les éditions P.O.L, 2023 (165 p)

      L’impasse littéraire

      La narratrice de ce récit raconte le viol qu’elle a subi de 7 à 14 ans. Elle essaie de mettre en scène, tant qu’elle le peut, le choc et la douleur que ce crime a provoqués dans sa vie. Elle nous invite également à l’accompagner dans son propre itinéraire et à revivre son douloureux vécu, elle qui avait presque sept ans quand le nouveau compagnon de sa mère a commencé à abuser d’elle. Elle s’est alors trouvée victime, isolée et murée dans le silence sans aucun secours. Le choc du traumatisme a évidemment bouleversé la chronologie des faits dans la mémoire de l’adulte qui écrit. Elle -- l’adulte -- revient alors sur ces faits pour observer à nouveau et examiner les lieux des sévices, la cave, le lit conjugal, toutes les pièces de la maison, sa maman et l’agresseur ainsi que les sentiments qu’elle vivait pendant cette période si pénible.

      C’est un ouvrage impressionnant, plein de douleurs, de tristesse et d’atrocités. Le texte nous livre, en effet, une palette d’émotions qui va de la douceur à l’agression, de l’apaisement à la folie. Ce qui m’a beaucoup plu dans ce roman de

      Sinno est la manière de raconter des faits terribles d’inceste pédophile avec beaucoup de courage et de transparence. De surcroît, le fait de se mettre dans la peau de l’agresseur bouleverse notre horizon d’attente et nous met dans une situation déstabilisante.

      On pense que l’adulte écrit pour pouvoir guérir de son passé et se donner une chance enfin de vivre un futur réconcilié avec un passé enfin dépassé. Mais non, la narratrice ne trouve pas l’abri requis dans la littérature :

      J'ai voulu y croire, j'ai voulu rêver que le royaume de la littérature m'accueillerait comme n'importe lequel des orphelins qui y trouvent refuge, mais même à travers l'art, on ne peut pas sortir vainqueur de l'abjection. La littérature ne m'a pas sauvée. Je ne suis pas sauvée.

      Selon Sinno, la littérature et l’écriture paraissent dans ce roman comme une enquête échouant à permettre à cette femme de se rassurer, de survivre en continuant à vivre.

      Maha Abu Elayyan

      Département de français

      Faculté des Langues étrangères

      Université de Jordanie, Jordanie


      L’Échiquier

      Jean-Philippe Toussaint

      Éditions de Minuit, 2023 (256 p.)

      Appréhender l’échec tout comme la réussite

      Avec L'Échiquier, Jean-Philippe Toussaint nous invite à naviguer avec lui à travers soixante-quatre chapitres, évoquant chaque case de l'échiquier comme une facette de sa vie dédiée à la littérature. Chaque chapitre devient dès lors une opportunité pour lui de partager son amour de la littérature et les événements qui l'ont façonné. Tout comme une partie d'échecs, le livre s'ouvre sur le déploiement de ses fragments, explorant sa jeunesse, ses amitiés et les souvenirs de sa maison paternelle, pour conclure par un final où le Roi atteint le mat. Toussaint nous présente un texte qui se raconte, s'invente et se recrée, mettant en lumière le désir de l’auteur de dévoiler son passé, en particulier ses liens avec le jeu d'échecs. Les soixante-quatre chapitres du livre, en parallèle aux cases de l'échiquier, servent de fil conducteur, remontant jusqu'aux origines les plus lointaines de son enfance.

      Il y est question d'une crise personnelle et existentielle de Toussaint qui évolue avec l'âge, entrelaçant habilement cette crise avec les circonstances extérieures de la COVID-19, qui imposa un confinement sévère. Le roman nous relate l'expérience de l'auteur pendant le confinement de 2020, mettant en lumière des moments clés de sa vie. La marche à travers son école d'enfance, sa jeunesse, ses lieux familiaux et son évolution personnelle. L'utilisation métaphorique de l'échiquier et les références à des endroits spécifiques construisent un récit explorant le temps, la mémoire et des questions existentielles liées à la vision du monde de Toussaint. La rencontre de l'auteur avec Madeleine marque le début d'une inspiration continue pour ses textes. Le récit évoque leurs rencontres, leurs liens avec la nature, et notamment avec la terre. Ces souvenirs, illustrés d'anecdotes, montrent l'influence de Madeleine sur la vie de l'auteur. Des années plus tard, ils se marient et assistent à un tournoi d'échecs où Gilles Andrott, ancien joueur d'échecs, apparaît dans la vie de l'auteur.

      Jean-Philippe Toussaint a pu dans ce récit nous inviter à méditer sur les dilemmes éthiques et à accepter les échecs du destin. On ne pourra ainsi jamais surmonter nos échecs qu’en apprenant à les appréhender puis à les accepter. Ce qui importe pour gagner est précisément l’attitude que l’on adopte face à ces échecs.

      Suleiman Alkhmous et Lama Hadia

      Département de français

      Faculté des Langues Étrangères

      Université de Jordanie, Jordanie

      L’Échiquier

      Jean-Philippe TOUSSAINT

      Éditions de Minuit, 2023 (256 p.)

      Le jeu de la vie

      « J’attendais la vieillesse, j’ai eu le confinement » (ch.1) : c’est par ces mots que Jean-Philippe Toussaint commence sa chronique autobiographique. J.-P. Toussaint est un écrivain belge contemporain auteur d'une dizaine de romans, tous publiés aux éditions de Minuit. Ils se caractérisent par un style minimaliste. L’auteur nous y raconte sa vie personnelle en 64 chapitres qui correspondent aux 64 cases du tablier de jeu « L’Échiquier ». Ainsi présente-t-il son enfance, ses travaux de traduction et ses réflexions sur le jeu d'échecs.

      Dans ledit roman, nous observons que l’auteur revient sur son passé et ses projets pendant le confinement de 2020. Cette crise sanitaire a été pour lui l’occasion de réécrire après une période d’arrêt assez longue. En racontant un souvenir assez pénible, il donne un petit aperçu sur son passé, raison pour laquelle le roman relève du genre « autobiographique ». Nous remarquons que le titre de son livre correspond à celui de Stefan Zweig, intitulé Le Joueur d’échecs, signe de l’admiration de Toussaint pour cet auteur. Par ailleurs, d’un point de vue psychologique, le cerveau de l’être humain ne peut pas mémoriser des moments de la vie selon un ordre chronologique, mais dégage plutôt les idées d’une manière spontanée et chaotique. Ce qui explique la répartition du roman, chaque chapitre représentant une nouvelle histoire de sa vie.

      Rien n’est plus étonnant que la disparité entre les longueurs des chapitres. En effet, il existe des chapitres très courts tels que le premier chapitre qui contient une seule phrase et d’autres qui sont trop longs. Cette différence apporte un éclairage sur les moments importants de sa vie ou montre au contraire les blancs de la mémoire. Mais quelle brillante idée de diviser le récit en 64 chapitres afin de référer à l’échiquier ! La vie humaine n’est cependant pas un jeu ! Le lien de correspondance entre la vie et le jeu s’éclaire selon ces trois possibilités : nous pourrions gagner notre vie à travers de meilleures décisions, nous pourrions échouer en faisant des faux pas ou nous pourrions encore rester seuls quand les autres partent. De plus, on notera que la forme des chapitres est fort variée dans la mesure où certains chapitres relèvent de l’actualité et non point du passé, comme dans « Le chapitre 13 ».

      Malgré les décisions que nous croyons prendre, le destin a toujours un autre choix. Pour cette raison, nous sentons que l’être humain est comme une marionnette incapable de réaction face au sort. Une philosophie pessimiste quant à la destinée se profile entre les lignes. Via cette autobiographie, J.-P. Toussaint nous transmet un message, qui est l’idée de l’instabilité. Il critique les comportements incompréhensibles des êtres humains, et tente de montrer que la peur excessive de la Covid-19 est inutile car le destin contrôle tout. Ironisant ainsi sur les mesures barrières face à cette crise, il décrit d’un mot tous les remous autour de l’épidémie : « Tout ce cirque » (ch.12).

      En guise de conclusion, nous dirons que ce récit est une plongée introspective dans les profondeurs de l’écrivain. Nous avons constaté que l’écriture était un refuge le protégeant de tous les troubles qui l’entourent. Il trouve ainsi le bon moment pour dégager ses réflexions et mettre en lumière son passé. En un mot, ce récit est bel et bien « l’échiquier de la mémoire ».

      Toka Mohamed Abd El-Aziz

      Département de Français

      Faculté de Langues (Al Alsun)

      Université Ain Chams, Égypte

      Veiller sur elle

      Jean-Baptiste Andréa

      Éditions L’iconoclaste, 2023 (592 p.)

      Hommage à l’art italien

      Jean-Baptiste Andrea est un écrivain, scénariste et réalisateur français. Il a grandi à Cannes (Institut Stanislas), avant de faire ses études à l’Institut d’Études Politiques de Paris et à l’ESCP-Europe. Ses œuvres connaissent un grand succès. Elles sont couronnées de prix réputés dans le milieu littéraire : le Grand Prix RTL-Lire Magazine Littéraire 2021, le prix Ouest-France Étonnants Voyageurs, le Prix Livres & Musiques, le Prix Relay des Voyageurs Lecteurs, etc. En tant que réalisateur, il a travaillé sur plusieurs films, très différents, allant du fantastique au thriller policier, en passant par le burlesque : Hellphone (2007), Dead End (2007), Big nothing (2007) et La Confrérie des Larmes (2014).

      « Veiller sur elle » est un roman qui se présente comme une saga fascinante qui explore les intrications de l’amour, de l’art et de l’histoire italienne au cours du XXe siècle. Dans cette épopée, les destins entrelacés de Mimo, Michelangelo Vitaliani de son vrai nom, et Viola Orsini captivent les lecteurs à travers près de 600 pages riches en émotions.

      L’histoire commence dans les années 80, alors que Mimo achève ses jours dans un couvent en Italie, à proximité de sa Pietà, un chef-d’œuvre sculpté par ses mains habiles. Cette statue, mystérieusement dissimulée par le Vatican, devient le point focal du récit. À travers les souvenirs de Mimo, le lecteur est transporté des tranchées de la Première Guerre mondiale à la tourmente de la Seconde, tout en plongeant dans les détours de l’histoire de l’art italien.

      La relation entre Mimo, issu d’une modeste naissance, et Viola, héritière de la prestigieuse famille Orsini, constitue le fil conducteur de l’intrigue. Leur amitié persiste malgré les différences sociales, faisant de Viola un mentor crucial pour Mimo. Ce dernier, malgré les railleries liées à sa petite statue, persiste dans sa passion pour la sculpture, façonnant ainsi son destin au fil des épreuves.

      Le roman excelle dans la caractérisation des personnages, notamment Mimo et Viola, dont l’amitié surpasse les difficultés. Viola, figure féminine mémorable, incarne l’émancipation à une époque où le destin des femmes semblait prédestiné dès leur naissance. Enfin, la révélation finale des secrets entourant la Pietà offre une conclusion intrigante et élégante à cette saga poignante. L’analyse des milieux sociaux, en particulier de la haute société italienne, dévoile une représentation nuancée des comportements et des relations de pouvoir.

      L’intégration habile du contexte historique, avec la montée du fascisme en toile de fond, confère une profondeur supplémentaire au récit. Les références à Michel-Ange et à d’autres maîtres de l’art italien enrichissent le voyage du lecteur à travers l’histoire de l’art, ajoutant une dimension métaphorique subtile à la simplicité de la sculpture selon Mimo.

      La révélation finale des secrets entourant la statue de Mimo est traitée avec subtilité, ajoutant une touche de suspense et invitant le lecteur à la réflexion. Cette élégance dans la conclusion du roman s’harmonise avec l’ensemble du récit, renforçant l’impact émotionnel de l’histoire.

      Pour conclure, nous pouvons dire que le roman est présenté comme un hymne poétique à la beauté, aux artistes italiens et au lien étroit entre l’amour et l’art. De plus, les réflexions profondes sur la condition féminine, la dynamique sociale et les défis individuels ajoutent des couches de complexité au récit. Cette œuvre promet une plongée captivante dans l’Italie du XXe siècle, où l’histoire, l’amour et l’art se mêlent pour former une œuvre littéraire exceptionnelle.

      Ce roman fascinant nous transporte à travers une aventure vibrante, explorant divers thèmes tels que l’art, l’amour et la politique. Il se présente comme une fresque riche en éléments

      religieux et historiques. Il m’a plu malgré quelques moments où l’intrigue ralentissait un peu. Une telle lecture offre un véritable voyage, bien qu’elle soit parfois ponctuée de quelques longueurs.

      Hanine Ahmed Abdel Moneim

      Département de Français

      Faculté de langues (Al-Alsun)

      Université Ain-Shams, Egypte

      Une façon d'aimer

      Dominique Barbéris

      Éditions Gallimard, 2023 (208 p.)

      Une Mélodie dans l'Ombre

      « S’il ne reste aucune trace, est-ce qu’on ne peut pas douter de ce qu’on a vécu ? » Dans la pénombre oubliée d'un repli caché, des figures effacées et des amours évanescentes appellent Barbéris. Ils lui susurrent les accords d'une mélodie douce, imprégnée de la réminiscence du passé. Une symphonie familière à tous, mais dont les paroles échappent à une mémoire exhaustive. Par peur de laisser s'évanouir chaque nuance, elle livre à sa narratrice les feuillets intimes de son histoire africaine, insufflant à ces pages une chaleur familière. D'un geste délicat, elle caresse du bout des doigts la poussière d'une époque révolue, révélant les mots gravés d'un portrait aux teintes jaunies : « Douala, allée des Cocotiers, 1958 ».

      Après le triomphe de Un dimanche à Ville-d'Avray, Dominique Barbéris nous offre Une façon d'aimer, une preuve transcrite de son Afrique d’enfance illuminant ainsi « le mystère obscur d'avoir vécu ». C’est un roman historique qui nous convie à une escapade dans les années 50 de l'Afrique, évoquant un passé capturé par des photographies qui, avec le temps, ont vu leurs teintes s'estomper. Ce sont des chansons qui chantent « une histoire sage, une vie retirée et discrète traversée d’un bref coup de folie, une romance secrète. », qui rappellent une Madeleine discrète, délicate, énigmatique avec un air de Michèle Morgan. À quoi ressemblait sa vie ? « Difficile de savoir ce qui arrive à une femme ». C'est incroyable comment une simple chanson peut évoquer une palette si riche d'émotions, avec une femme quittant Nantes pour un périple en Afrique après son union avec Guy, qui était éperdument épris d'elle. Sa mère le surnommait toujours "l’Africain", même s'il venait de Vertou, en Loire-Atlantique. C'est au croisement des “ou la la !” de son boy et des bals de Jacqueline que Madeleine fait la rencontre d'un homme d'une quarantaine d'années, de stature moyenne et aux cheveux bruns, « L’homme en question s’appelait Prigent, Yves Prigent ». C'est à l'instant où « Prigent prit Madeleine par la taille » que tout commença à prendre une tournure délicate.

      Si j'avais la possibilité de souligner et d'encadrer chaque page de ce livre, je l'aurais fait volontiers, une dentelle d'une délicatesse remarquable, empreinte d'une féminité subtile, où l'on perçoit dès les premières pages l'oralité d'une femme. C’est un récit que j'ai dévoré avec lenteur, réticente à perdre ne serait-ce qu'une miette de son essence. Je ne puis vous promettre un coup de cœur, mais je peux vous assurer avoir découvert l'ombre, la lumière et une façon d’aimer.

      Lyne Mahfouz

      Département de Littérature et Langue Françaises

      Faculté des Lettres et des Sciences Humaines II

      Université Libanaise

      Croix de Cendre

      Antoine Sénanque

      Éditions Grasset, 2023, (432 p.)

      Au-delà des cendres ; La croix du Silence

      Prenez place dans un voyage époustouflant à travers les siècles avec Croix de cendre, le tout dernier roman d'André Sénanque. Plongez au cœur de l'histoire médiévale, guidé par une plume acérée qui vous transporte dans les méandres de la vie des moines dominicains.

      Édité par Grasset, cet ouvrage de la collection « Littérature Française » promet une expérience littéraire inoubliable. Préparez-vous à être envoûté par les 432 pages riches en rebondissements et les 52 chapitres qui se succèdent, offrant un rythme haletant à cette saga captivante. L'auteur, connu pour son talent à dépeindre avec audace des univers différents, explore ici les thèmes profonds et universels avec une finesse et une profondeur qui ne manqueront pas de vous captiver.

      Dans un enchevêtrement subtil entre le cerveau et la plume, le neurologue écrivain se sert habilement de ses compétences professionnelles et de son art, pour nous faire revivre l’analepse des moments cruciaux dans la vie de Maître Eckhart (personnage réel). Le destin de ce dernier se mêle à la tragédie du siège de Kaffa en 1348, point de départ de la redoutable Grande Peste qui dévasta l'Europe. Encouragés par Guillaume, le Prieur de leur monastère, deux jeunes dominicains se rendent à Toulouse pour obtenir du vélin et de l'encre spéciale, afin que Guillaume puisse raconter ses souvenirs de moments partagés avec Maître Eckhart. Mais à Toulouse, l'Inquisiteur fait emprisonner l'un des jeunes hommes, dans le but d'obtenir de son ami une copie de l'histoire de Guillaume. L'auteur nous embarque dans un tourbillon de douleurs, de trahisons et de haines, mais aussi dans des moments de sacrifice ultime pour Dieu. Portrait captivant de l'Europe religieuse au 14ème siècle, ce roman nous plonge au cœur d'une époque marquée par des dérives choquantes. Les béguinages, ces communautés de femmes oscillant entre une vie sans véritable engagement religieux et l'hérésie, sont présentés de manière saisissante par l'auteur Antoine Sénanque. En toile de fond, la présence de la Papauté à Avignon et les rivalités féroces entre les ordres dominicain et franciscain ajoutent une tension palpitante à l'intrigue.

      La lecture de ce roman nous rappelle les affres de la trahison de Jésus-Christ, à travers le personnage de Judas Iscariote. Le rôle pernicieux joué par le Pape, semant la peste par le biais de missionnaires dominicains, résonne comme une trahison indirecte envers la foi chrétienne, rappelant la trahison de Judas envers Jésus. Ces éléments se mêlent pour former un tissu complexe de symboles et de nombreuses questions en suspens, révélant les conflits intérieurs et les tourments spirituels des personnages, tout en soulignant les sombres vérités susceptibles d'ébranler les croyances profondément enracinées.

      Dans ce monde impitoyable, le charme est une denrée si rare. Mais chez Antoine Sénanque, avec son univers poétique, désenchanté, caustique, et sa population de messieurs Jadis, on trouve un soupçon de gravité sous une tonne de légèreté.

      Rien de vraiment vital, juste ce petit quelque chose qui fait toute la différence.

      Ce livre n’ouvrirait-il pas un espace de réflexion sur la résurgence du traditionalisme et le spectre du fondamentalisme dans la pratique moderne de nos religions ?

      Viviane El Helou

      Département de Littérature et de Lettres Françaises

      Faculté des Lettres et des Sciences Humaines II

      Université Libanaise, Liban


      Veiller sur elle

      Jean-Baptiste Andréa

      Éditions L’iconoclaste, 2023 (592 p.)

      Un dernier souffle

      Les événements du roman ont eu lieu au XXe siècle en 1986 en Italie, où notre héros Michelangelo Vitaliani, surnommé Mimo, raconte son histoire alors qu'il est près de rendre son dernier souffle, sur son lit de mort, après avoir vécu dans l’isolement d’une abbaye italienne pendant 40 ans, à veiller sur son chef-d'œuvre sacré. Il a commencé par les événements de la Première Guerre mondiale, dont l'un des effets douloureux était la mort du père de Michelangelo. En conséquence, sa mère Antonella a décidé de l'envoyer chez son oncle Alberto, qui était violent, cruel et alcoolique, mais Mimo a quand même pu bénéficier quelque peu de son oncle. En effet, il a appris de lui l'art de la sculpture qui a créé des miracles :

      Sculpter, c’est très simple. C’est juste enlever des couches d’histoires, d’anecdotes, celles qui sont inutiles, jusqu’à atteindre l’histoire qui nous concerne tous, toi et moi et cette ville et le pays entier, l’histoire qu’on ne peut plus réduire sans l’endommager. Et c’est là qu’il faut arrêter de frapper.

      Lorsque Mimo a eu treize ans, un premier changement s'est opéré dans sa vie. Le destin l'a réuni avec Viola, la fille de la famille Orsini, l'une des familles les plus puissantes d'Italie. Ces deux avaient les mêmes ambitions. Viola rêvait de voler, de vivre une vie qui ne serait pas gouvernée par son père, lequel était sur le point de la marier de force à un homme riche. Et Mimo avait l'habitude de rêver de gloire et de richesse pour mettre fin à son état misérable et se débarrasser de sa pauvreté. Ils se rencontraient secrètement dans les tombes de Petra d’Alba, un endroit qui impressionne Viola. Un lien caché d'amitié s'est ainsi développé entre eux, lien que personne d'autre n'a remarqué. Là, ils se sont promis de ne pas être séparés malgré l'impossibilité de pérenniser leur rencontre.

      Pendant ce temps, Mimo réalise sa sculpture, la Pièta qui, à chaque fois qu'il la regarde, évoque pour lui son passé. Elle a surpris tout le monde avec sa beauté, ce qui a ennuyé le Vatican qui l'a soustraite à la vue et a également essayé de la détruire par les mains de Laszlo Toth. C'était l'une des raisons de la renommée de Mimo et en même temps l'une des causes de sa grande tristesse et de ses sacrifices.

      C’est une pietà. Tu sais ce que c’est ?

      – non

      – Une représentation de la mater dolorosa. Une mère qui pleure son enfant au pied de la croix.

      C’est un maître anonyme du dix-septième siècle.

      C’est un roman magique et attirant, plein d'excitation et de mystère. Jean-Baptiste Andréa a pu cultiver une intensité dans son texte, ce qui nous a amené à nous identifier facilement à son univers fictionnel. Ce qui nous a également fait rêver, c’est d’aller visiter les endroits mentionnés dans le texte, stimulés par la description pittoresque et intéressante de lieux.

      Sara Al-Amarneh

      Département de Français

      Faculté de langues étrangères

      Université de Jordanie, Jordanie

      Proust, roman familial

      Laure Murat,

      Éditions Robert Laffont, 2023 (256 p.)

      Un roman de réconciliation avec le passé

      Le roman familial de Proust de Laure Murat explore la découverte par l'auteure du monde de son enfance et du monde de l'aristocratie, en abordant divers aspects liés à Proust, qui vont de l'influence de l'aristocratie sur ses écrits aux détails particulièrement intéressants de sa vie.

      Les sujets incluent en effet une fascination pour les détails aristocratiques, le "syndrome d’Obélix" comme un lien avec le passé et la dualité de l’aristocratie proustienne. Laure Murat se remémore les détails de la vie de Proust, les liens familiaux et les éléments inexplorés de sa vie ainsi que la connexion de son existence avec la relation complexe qu’il entretenait avec sa mère.

      Les fragments du roman offrent une vision riche et nuancée; le texte explore la dualité de la coquille aristocratique, laissant entrevoir le vide derrière la forme pleine. L'auteure décrit également les rencontres de Proust à l'hôtel Murat, ce qui complique les relations familiales; elle relate les recherches sur Albert Le Cuziat, modèle de Proust, et évoque la visite effectuée par ce dernier à Venise. Cela se fait toujours en soulignant les thèmes de l'homosexualité, des relations familiales et des héritages émotionnels: « Proust ayant eu, d’une part, plusieurs inclinations sentimentales et très fugitives pour d’autres femmes, ses grandes amours étant, d’autre part, exclusivement réservées aux hommes. » Les enquêtes sur les photographies et la correspondance perdue ajoutent une dimension inattendue à l'exploration de l'aristocratie proustienne.

      L'auteure nous raconte comment la lecture de À la recherche du temps perdu a changé sa perception du monde, mettant en avant le pouvoir consolant de la littérature pour se comprendre soi-même mais aussi pour mieux saisir la réalité: « À chaque lecture, Proust a modifié ma compréhension du monde », souligne-t-elle. La recherche constante de compréhension et de savoir suscitée par Proust devient dès lors une source d'enrichissement et d'élévation au-delà des douleurs de la vie:

      Et là, ma vie a changé. Proust savait mieux que moi ce que je traversais. il me montrait à quel point l'aristocratie est un univers de formes vides. Avant même ma rupture avec ma propre famille, il m'offrait une méditation sur l'exil intérieur vécu par celles et ceux qui s'écartent des normes sociales et sexuelles. Proust ne m'a pas seulement décillée sur mon milieu d'origine. Il m'a constituée comme sujet, lectrice active de ma propre vie, en me révélant le pouvoir d'émancipation de la littérature, qui est aussi un pouvoir de consolation et de réconciliation avec le Temps.

      En somme, Proust se révèle non seulement consolateur mais salvateur pour l'auteure. Enfin, le roman de Laure Murat, issu d'une lecture des œuvres de Proust, impressionne par l'intelligence et la justesse de ses analyses et sa capacité à les relier à sa propre vie, permettant de mieux la comprendre alors qu'elle exprime à travers elle son rapport à sa famille, ses choix

      de vie, son orientation sexuelle, sa manière de s'ouvrir et de se nourrir : « Proust savait mieux que moi ce que je traversais. Il me montrait à quel point l'aristocratie est un univers de formes vides. »

      Lama Hadia

      Département de français

      Faculté de langues étrangères

      Université de Jordanie, Jordanie

      L’échiquier

      Jean-Philippe Toussaint 

      Éditions de Minuit, 2023 (256 p.)

      L’échiquier, un "je" en 64 cases

      Quoi de mieux que de partager ses souvenirs autour d’une bonne partie d’échecs pour faire passer l’ennui du confinement ?

      La Covid19 a confiné le monde entier entre les murs de leur maison et certains, comme Jean-Philippe Toussaint, ont profité de cette situation pour laisser libre cours à leur créativité. L’auteur se livre pour la toute première fois à l'exercice de l'autobiographie dans L’Échiquier, en parallèle à la traduction du Joueur d’échecs de Zweig, devenu entre-temps Échecs (Minuit, 2023).

      Chevauchant le dos de son cavalier (oui, le petit cheval des échecs), il saute d’une case à une autre de sa mémoire, au gré de ses souvenirs, sans ordre précis, et sans passer deux fois par une même case.

      Commence alors une magnifique partie en solitaire où l'équilibre entre l'intime et le romanesque est tout simplement parfait, accompagné d’une pointe de nostalgie face au temps qui s'écoule, similaire aux parties que l'on ne pourra jamais reproduire, tout cela avec des phrases écrites avec un style minimaliste mais très travaillé ; le produit final est donc une des plus belles autobiographies jamais écrites.

      L’ordre des souvenirs nous paraît anodin au départ, mais lorsqu’on sait que Toussaint a déjà une bonne vingtaine de romans à son actif, on comprend que rien n’est laissé au hasard. Chaque chapitre, chaque mouvement est calculé comme ceux des grands maitres d’échecs, l’auteur étant lui-même un des grands maitres de la littérature.

      Toussaint dit lui-même dans ses pages : « Pour moi, dès l'origine, la littérature et les échecs ont toujours eu partie liée ». Il ajoute : « j'étais là, immobile, devant l'échiquier de ma mémoire – et j'y resterais tout au long de ces pages, c'est le présent de ce livre, c'est son présent infini ».

      Il s’agit d’un roman autobiographique qui ne ressemble pas aux autres, c’est une belle surprise pour les lecteurs qui, comme moi, n’apprécient pas les romans autobiographiques. L’originalité et la sincérité qu’on ressent à chaque ligne du roman nous poussent constamment à dévorer chaque mot de chaque chapitre.

      Lors de la lecture, on se sent comme figé dans le temps.

      Pour ceux qui ont l’impression que la vie court trop rapidement et qui ont vraiment besoin d’une petite pause dans ce quotidien de plus en plus chaotique, ce livre est fait pour vous.

      Marianne Andary

      Département de Littérature et Langue Françaises

      Faculté des Lettres et des Sciences Humaines II Université Libanaise, Liban

      L’Échiquier

      Jean-Philippe TOUSSAINT

      Éditions de Minuit, 2023 (256 p.)

      Le survivant

      « Je voulais que ce livre traite autant des ouvertures que des fins de partie, je voulais que ce livre me raconte, m'invente, me recrée, m'établisse et me prolonge. Je voulais dire ma jeunesse et mon adolescence dans ce livre, je voulais débobiner, depuis ses origines, mes relations avec le jeu d'échecs, je voulais faire du jeu d'échecs le fil d'Ariane de ce livre et remonter ce fil jusqu'aux temps les plus reculés de mon enfance, je voulais qu'il y ait soixante- quatre chapitres dans ce livre, comme les soixante-quatre cases d'un échiquier. »

      Un passage que j'ai mémorisé dès la toute première lecture ! Et c'est une première !

      Se retrouvant soudain coincé dans son appartement bruxellois à cause de l’affreuse crise sanitaire du Covid-19, Jean-Philippe Toussaint se voit dans l'obligation de se trouver une occupation. Du coup, il apporte au monde ce livre, d’après lui, distinct de ses semblables. Il le baptise L’Échiquier, tout court. Il nous prend dans un voyage ou plutôt une plongée de réflexions, de pensées, de souvenirs et de penchants. Un journal intime !

      Bien que sorti un peu tardivement, ce journal intime évoque l’un des plus pénibles et plus compliqués tournants de l’histoire de l’humanité : la pandémie. Surgi d’on ne sait où, nous prenant de court, ce mal contraint chacun d’entre nous à s’aménager des échappatoires, afin de fuir le lourd désordre mental généré par le bouleversement inopiné de notre quotidien.

      Segmenté en 64 fragments, tout comme les cases d’échiquier, ce journal intime est un ouvrage de première classe. Avec une plume lente et calme, Toussaint nous expose sa famille, ses souvenirs d’enfance, ses prédilections, ses errances, ses rencontres et ses transports. Très peu de lecteurs, pour ne pas dire aucun, échapperont à la gifle dynamisante qu’apporte ce livre. L'on a tous un peu la gorge serrée dans certains passages car l'étranglement du confinement nous retraverse l'esprit au bout d'un moment. Une solitude. Une angoisse. Une panique. Un suspense.

      Il s'agit de 130 pages qui nous emmènent dans une promenade sur la lassitude de la vie, la fragilité de l'être humain que nous sommes.

      D’ailleurs, le merveilleux Toussaint met la lumière sur une réflexion d'une grande profondeur : « L'écriture est cet abri mental dans lequel je me réfugie pour résister au monde. Le livre, pendant que je l’écris, devient un sanctuaire, un lieu clos où je suis protégé des offenses du monde extérieur. » Un énoncé que je soutiens avec conviction, énergie et émotion. Car, d'évidence, l’écriture constitue l’une des meilleures thérapies dans notre monde chaotique.

      Un livre hyper touchant, superbement écrit, pour ne dire que cela. Néanmoins, sur le plan langagier, il n'est pas vraiment facile d’accès Il peut même s'avérer irritant, parce que chargé de passages souvent superflus et de descriptions à caractère ennuyeux, qui, je le crois, ralentissent le rythme du récit.

      Le titre dégage une certaine élégance. L'incipit, quant à lui, cultive l'envie de poursuivre la lecture, histoire de vouloir en savoir davantage sur la pandémie et ses nuisibles effets sur les différentes parties du globe. Certes, les souvenirs que nous en avons sont loin d'être doux, mais

      une chose est sûre, si l'on écrit, c'est forcément pour raconter quelque chose qui en vaut la peine. Je recommande alors non seulement la lecture de cet ouvrage mais également la plume de Toussaint, que j'adore désormais. Même si lire le présent bouquin nécessiterait de s’aider de quelques informations relatives au fameux jeu d’échecs, car sinon le risque d’en sortir sans avoir capté grand chose serait élevé, sa lecture est vraiment d’un apport précieux.

      Khalid Mohammed

      Département de Français

      Faculté des Lettres

      Université de Khartoum

      Une façon d’aimer

      Dominique Barbéris.

      Éditions Gallimard, 2023 (208 p.)

      L’amour interdit

      Une façon d’aimer de Dominique Barbéris raconte l’histoire d’une jeune femme qui s’appelle Madeleine. Cette dernière vivait à Nantes avec ses parents, des maraîchers, puis à l’âge de 26 ans, elle rencontre un jeune homme tout à fait charmant et gentil, Guy, avec qui elle se marie. Puisque Guy travaillait au Cameroun à Douala, Madeleine s’installe à Douala avec lui. Le fruit de leur mariage est une fille nommée Sophie. À Douala, lors d'un bal à la Délégation, Madeleine s'éprend d'Yves Prigent, mi-administrateur, mi-aventurier : “Il n'était pas très grand ; des cheveux bruns, peignés en arrière et crantés, le front haut, une chemisette avec des pattes sur l'épaule. Il sourit en fumant. Puis tendit la main à Madeleine : Vous dansez ? Elle s'excusa : Non, je danse très peu, je ne danse pas bien. Mais il insista et il la tira vers la piste”. Mais à la fin de ce roman, Yves meurt dans un terrible accident d’avion.

      La narratrice de ce récit, qui est la nièce de Madeleine, imagine ce qui a pu se passer au Cameroun avec sa tante. Elle essaie de nous décrire les amours interdits, la vie entre le couple, les émotions ressenties et cachées. Elle s’efforce donc d’explorer l’histoire de la tante Madeleine, qui appartenait à la génération des années cinquante, la génération de la guerre. Cet ouvrage nous rappelle évidemment Madame Bovary et nous livre une palette d’émotions qui va de la douceur à la tristesse, de l’amour à la séparation et la frustration.

      Ce qui m’a beaucoup plu dans ce texte est la sensibilité de la trame narrative par laquelle l’auteure a réussi à nous communiquer toute la complexité d'une vie de femme ayant dans ses plis les nuances de ses émotions, de ses décisions et choix. On y parle aussi de la condition humaine et de l’environnement, de la politique et de la vie sociale de l’homme. S’y ajoute les chansons qui ont ajouté au texte de la vraisemblance et du dynamisme.

      Randa Radwan

      Département de français

      Faculté des langues étrangères

      Université de Jordanie, Jordanie

      Une façon d’aimer

      Dominique Barbéris

      Editions Gallimard, 2023 (208 p.)

      Souvenir d’un amour secret

      Née en 1958 au Cameroun dans une famille d’origine nantaise, Dominique Barbéris est une romancière française, auteure d'études littéraires, enseignante universitaire et spécialiste en stylistique et ateliers d'écriture. Début septembre, son roman « Une façon d’aimer » remporte le Prix des Libraires de Nancy- Le point 2023.

      Ce roman raconte l’histoire d’une ancienne photographie que la narratrice a trouvée et qui a déclenché chez elle maints souvenirs, notamment ceux liés à la vie de sa tante Madeleine dans les années 1950. Celle-ci était une femme très élégante, belle et discrète, née à Nantes et mariée à un homme qui s’appelait Guy. Après son mariage, elle partit avec son mari à Douala au Cameroun, qui était à l’époque une colonie française. Les années 50 au Cameroun étaient jalonnées d’incidents politiques car les indépendantistes voulaient libérer leur patrie du colonialisme français. Dès son premier jour dans ce nouveau pays, elle découvrit une vie totalement différente et se trouva plongée dans un monde différent. Au début, elle avait peur mais peu à peu elle s’est habituée à sa nouvelle vie. Le couple a eu une fille appelée Sophie, née à Douala. L’auteure dans son roman a mis l’accent sur les relations illégitimes et les rencontres furtives qui survenaient entre femmes et amants.

      À travers les photos, les lettres et les enveloppes envoyées par la tante à sa sœur, notre narratrice, nièce de Madeleine, a pu nous faire pénétrer dans une histoire plutôt réaliste. Elle rapporte en particulier la rencontre de sa tante avec un certain Yves Prigent, un homme marié qui travaillait à Yaoundé, laissant sa femme et ses enfants en France. Il admirait Madeleine qui avait commencé à avoir des sentiments envers lui. Ils se rencontrèrent de temps à autre en secret. Leur passion grandit et peu de temps après, cette relation fut découverte, suscitant la colère du mari. La disparition du vol Douala-Yaoundé, avec à son bord Prigent, fut un choc pour Madeleine qui a essayé coûte que coûte de cacher ses sentiments. Elle, son mari et leur fille retournèrent alors en France pour y vivre ensemble comme une famille ordinaire. Cependant, Madeleine ne sera plus jamais comme avant ; elle est devenue la plupart du temps silencieuse, ce qui était peut-être sa façon d’aimer. Impossible de rester intact après un amour, non?

      Tout au long du roman, l’auteure parvient à retenir notre attention par la description détaillée des vêtements que portait chacun durant cette période, des paysages propres à Nantes et à Douala et des divers protagonistes du roman. Son style est magnifique. Ce qui caractérise son écriture est l’utilisation de chansons à plusieurs reprises et dans différentes circonstances.

      Par sa plume, l’auteure essaye d’esquisser une toile du Cameroun des années 50. Elle utilise une langue facile et un vocabulaire compréhensible à tous. Sa manière d’écrire nous rend toujours désireux de continuer la lecture pour connaître la suite. Notre curiosité est attisée au fil de la lecture.

      En tournant les pages, nous sentons que nous faisons partie de cette histoire, de cette période difficile de la colonisation et de cet amour secret. Madeleine est une femme tiraillée,

      victime de ses sentiments, cherchant à ne pas tromper son mari. Néanmoins, l’amour est une flamme difficile à éteindre.

      Une façon d’aimer est un roman plein d’événements et de vivacité. Ce qui le rend attirant est que l’auteure, par son don d’écriture, a pu en faire un roman à la fois historique et sensationnel.

      C’est une histoire qui raconte la vie de Madeleine depuis sa jeunesse jusqu’à sa mort, la vie d’un mari amoureux de sa femme, qui décide de lui pardonner et de continuer à l’aimer malgré tout ce qui s’est passé. Cette histoire nous montre la tolérance du couple d’autrefois qui laissait passer, qui partageait ensemble les bons ou les mauvais moments et qui grandissait ensemble. Ils ne se sont pas séparés jusqu’à leur mort.

      Nadine Michel Nakhla

      Département de français

      Faculté de Langues (Al-Alsun)

      Université Ain-Shams, Égypte

      Triste tigre

      Neige Sinno

      Éditions P.O.L, 2023 (288 p.)

      Un serpent se mord la queue

      « Le tabou, dans notre culture, ce n’est pas le viol lui-même, qui est pratiqué partout, c’est d’en parler, de l’envisager, de l’analyser. »

      Faire parler une victime de viol est sans doute aucun la chose la plus difficile qui soit !

      C’est en se mettant dans la peau du criminel que Sinno, dans son Triste Tigre, nous dévoile une enfance usurpée par l’agression sexuelle qu’elle a subi sans trêve de la part de son beau-père entre l’âge de 7 et 14 ans. En feuilletant le livre, on peut assez clairement apprendre que l’autrice met l’accent, non seulement sur le délit et le délinquant, mais aussi sur la société qui humilie, opprime et stigmatise la victime au lieu de lui tendre la main afin de l’aider à s’en sortir sans handicap moral.

      Encore que le titre ne m’ait point parlé à première vue, quelque chose que je ne comprends toujours pas m’a poussé à entamer cette émouvante lecture. Une fois arrivé au bout, je me suis rendu compte de ce que j’aurais raté si je ne l’avais pas faite, car, dans cette œuvre autobiographique, l’écrivaine est parvenue, comme peu de ses semblables, à raconter l’irracontable, à dire l'indicible et à lever le rideau sur des questions et polémiques qui touchent et ne cessent de faire débat dans presque toutes les plates-formes importantes.

      Pur, dur et sincère, ce livre cristallise les principaux traits de la littérature. L’autrice, afin de sensibiliser le lectorat au mal que vivent les enfants dans des entourages incestueux, fait des confidences graves, très graves. Je trouve que, malgré la profondeur thématique que porte le livre, le style et la plume restent simples, fluides et expressifs, permettant ainsi d’aisément tisser un lien intime entre l’écrivaine et le lecteur. Un lien qui pave le chemin pour les confessions à venir.

      La lecture de cet ouvrage suscite, inévitablement, au tréfonds de son lecteur, un ressentiment intense, un grand malaise, un vrai chamboulement. Je me suis, en toute franchise, beaucoup demandé comment certains écrivains, dont Sinno, arrivent à avoir l'audace et le courage de se confier à fond ? Est-ce en raison de la gravité ou de la grandeur de ce qu’ils portent dans le cœur ? Les lectures que je fais de manière hebdomadaire, depuis des années, ne réussissent toujours pas à fournir des éléments de réponse à cette question.

      Si Triste tigre était à décrire en un mot, je dirais : émotion. À lire et à relire !

      Je termine par un petit message : Écoutons ce que la victime a à dire. Laissons-la s'exprimer dans ses mots, à sa façon, à son rythme, et surtout sans porter de jugement. NE PAS poser de questions suggestives ni essayer de lui soutirer des détails. Évitons de parler sans arrêt ou à sa place si elle cherche ses mots ! Courage à toutes les victimes de viol !

      Khalid Mohammed

      Département de Français

      Faculté des Lettres

      Université de Khartoum

      Proust, roman familial

      Laure Murat,

      Éditions Robert Laffont, 2023 (256 p.)

      L’aristocratie dans le « roman familial »

      « À l’aristocratie est souvent rattaché le mot prestige. Personnellement, je préfère le « proustige », déclare l’historienne, journaliste, professeure de littérature et écrivaine Laure Murat, qui publie cette année son roman sur l’aristocratie intitulé Proust, roman familial, pour lequel elle obtient le prix Médicis essai 2023.

      Personnage principal de cette œuvre, Laure Murat a longtemps résisté au désir d’écrire ce livre. Toutefois elle finit par révéler qu’elle est née dans une famille appartenant à la noblesse. Sa famille du côté paternel, les Murat, est une noblesse d’Empire alors que du côté de sa mère, les De Luynes est une noblesse d’Ancien Régime. L’écrivaine est ainsi descendante de Joachim Murat, le beau-frère de Napoléon, fils d’aubergiste, devenu ensuite Maréchal d’Empire et roi de Naples. « Chaque fois que, dans la conversation, surgissait l’expression "on n’est pas sorti de l’auberge", on ne manquait jamais d’ajouter : "eh bien si, justement" ».

      Ainsi, née au sein de la noblesse, son avenir est déterminé par un « beau mariage » et une vie réglée par les contraintes et les apparences qui régissent son milieu. Cependant, l’auteure se révolte en acceptant ses propres convictions et aussi son homosexualité que la noblesse ne « tolère » que si elle est dissimulée. À l’âge de 19 ans, elle quitte donc le milieu parental dans lequel elle ne se retrouve plus. Un an plus tard, elle plonge dans les sept volumes de La Recherche de Marcel Proust (Notez Bien : Laure Murat a lu La Recherche quatre fois en entier). Grâce à la lecture de l’œuvre de Proust, l’historienne comprend mieux le fonctionnement de son milieu pour mieux s’en extraire par la suite : dans les pages de ce volume et dans chaque ligne, elle découvre que la société qui y est décrite dans le roman de Proust correspond à celle qu’elle a connue.

      Le lecteur peut ressentir la présence de Marcel Proust dans les romans de Laure Murat en général, et notamment dans ce roman : « à chaque lecture, Proust a modifié ma compréhension du monde […] Il m’a sortie de l’ignorance et de la confusion ». Le lecteur a alors l’impression qu’il est face à un double roman : d’un côté le roman de Laure Murat où elle dévoile les principes d’une éducation forgés par l’aristocratie, et de l’autre, le roman de Proust, La Recherche, dont l’influence se voit incorporée clairement dans celui de Murat.

      L’influence de Proust et de son roman est également mise en évidence au niveau du titre. Au départ, l’écrivaine a choisi d’intituler son œuvre « Proust ou la consolidation » mais après s’être plongée dans l’écriture, elle s’est retrouvée en fin de compte au milieu d’un « roman familial ».

      Laure Murat a un style d’écriture clair, simple et efficace. Elle évite les généralisations. La pure subjectivité qu’elle met dans ce qu’elle raconte et son sens de l’humour suscitent la curiosité de ses lecteurs, leur désir de découvrir Proust et de mieux comprendre les sept volumes de La Recherche, ce grand livre de l’inversion de tous les temps et ce dans tous les sens du terme.

      D’ailleurs, quand on lit la phrase du roman par laquelle nous avons voulu commencer cette chronique, et qui substitue « proustige » à « prestige », lorsqu’il s’agit d’aristocratie, l’on prend conscience de l’impact de ces mots. Ce dernier est si grand sur le lecteur qu’il ne peut continuer la lecture du roman qu’à travers les yeux de Proust, son regard et sa vision des choses de son siècle et de son milieu. Le lecteur ne voit plus l’aristocratie telle qu’on a toujours voulu la montrer. Nous avons tendance à croire en effet que l’aristocratie se compose surtout des gens nobles, intellectuels et bien éduqués. Mais en vérité, sous la plume de Murat, en grande partie influencée par Proust, l’aristocratie prend une toute autre allure, complètement opposée aux idées préconçues. Ainsi Murat évoque-t-elle dans son roman des gens appartenant à cette classe sociale mais qui n’ont rien de noble, et qui de plus ne sont pas vraiment éduqués, des gens dont le savoir-vivre assimilé est tout bonnement plaqué car s’ils ne l’appliquent pas, ils courront le risque de se voir expulsés de ce cercle fermé auxquels ils appartiennent. C’est ce qui est arrivé en réalité à Laure Murat elle-même.

      Ceci dit, ce roman nous invite surtout à une réflexion plus profonde sur l’aristocratie : jeu social ou réalité ?

      Maria Abou Jaoudeh

      Département de Littérature et de Lettres Françaises

      Faculté des Lettres et des Sciences Humaines II

      Université Libanaise, Liban

      Humus

      Gaspard Koenig

      Editions L’Observatoire, 2023 (p. 379)

      L'Avenir lombricien

      Gaspard Koenig publie le 23 août 2023 Humus, un roman portant sur le sujet de l'éco-anxiété. À travers les pages de Humus, qui signifie "terre", nous suivons l'histoire de deux jeunes étudiants en ingénierie agronomique.

      Un peu comme toute leur génération, c'est-à-dire la génération actuelle, ces deux jeunes, Kevin et Arthur, sont en pleine prise de conscience écologique. Mais ce qui les distingue des autres étudiants, c'est qu'ils sont des "bifurqueurs" : en effet, ils empruntent un parcours différent du parcours traditionnel de l'agro-industrie pour essayer d'innover avec des expériences plus réalistes que l'écologie réelle. Chacun prend un chemin différent. D'un côté, nous avons Kevin qui s'oriente davantage vers le capitalisme vert, les start-ups ainsi que les investissements. De l'autre, Arthur qui choisit de suivre une voie de néo-ruralité de plus en plus radicale et politisée.

      Malgré ces deux chemins opposés, les deux étudiants ont un point en commun sur lequel ils s’entendent : les vers de terre.

      En effet, ayant assisté à un cours sur les vers de terre – cours qui d’ailleurs a été à l’origine de leur rencontre – ils se rendent compte que le ver de terre est un animal qui est, non seulement extrêmement précieux, mais aussi, en voie de disparition à cause des insecticides et du labour profond. À leur manière, chacun va s’interroger sur la manière de résoudre cette problématique.

      Dans son œuvre, Gaspard Koenig met en avant toute la complexité de notre société par rapport à cette problématique, ou devrais-je dire ce « défi ». Il met en lumière l’hypocrisie des deux mondes, celui du capitalisme vert et celui de la radicalité néo-rurale.

      Ce qui fait avant tout le point fort de ce roman, ce sont les divers sujets entremêlés : les personnages, l'écologie, les clichés, la politique et la révolte. Humus se démarque ainsi par ses thèmes très riches et variés qui poussent le lecteur à se remettre en question.

      Par ses arguments ainsi que la simplicité de son style, Gaspard Koenig nous montre la tristesse de notre société et l'extrémisme dans les deux mondes présentés. Le message est philosophique et se prête à des interprétations multiples et différentes.

      Humus est une œuvre que je recommande fortement. Elle est unique en son genre et mérite d’être lue.

      Pia Azwat

      Département de Langue et Littérature Françaises

      Faculté des Lettres et Sciences Humaines II

      Université Libanaise, Liban


      L’Échiquier

      Jean-Philippe TOUSSAINT

      Éditions de Minuit, 2023 (256 p.)

      Le jeu de la vie

      « J’attendais la vieillesse, j’ai eu le confinement » (ch.1) : c’est par ces mots que Jean-Philippe Toussaint commence sa chronique autobiographique. J.-P. Toussaint est un écrivain belge contemporain auteur d'une dizaine de romans, tous publiés aux éditions de Minuit. Ils se caractérisent par un style minimaliste. L’auteur nous y raconte sa vie personnelle en 64 chapitres qui correspondent aux 64 cases du tablier de jeu « L’Échiquier ». Ainsi présente-t-il son enfance, ses travaux de traduction et ses réflexions sur le jeu d'échecs.

      Dans ledit roman, nous observons que l’auteur revient sur son passé et ses projets pendant le confinement de 2020. Cette crise sanitaire a été pour lui l’occasion de réécrire après une période d’arrêt assez longue. En racontant un souvenir assez pénible, il donne un petit aperçu sur son passé, raison pour laquelle le roman relève du genre « autobiographique ». Nous remarquons que le titre de son livre correspond à celui de Stefan Zweig, intitulé Le Joueur d’échecs, signe de l’admiration de Toussaint pour cet auteur. Par ailleurs, d’un point de vue psychologique, le cerveau de l’être humain ne peut pas mémoriser des moments de la vie selon un ordre chronologique, mais dégage plutôt les idées d’une manière spontanée et chaotique. Ce qui explique la répartition du roman, chaque chapitre représentant une nouvelle histoire de sa vie.

      Rien n’est plus étonnant que la disparité entre les longueurs des chapitres. En effet, il existe des chapitres très courts tels que le premier chapitre qui contient une seule phrase et d’autres qui sont trop longs. Cette différence apporte un éclairage sur les moments importants de sa vie ou montre au contraire les blancs de la mémoire. Mais quelle brillante idée de diviser le récit en 64 chapitres afin de référer à l’échiquier ! La vie humaine n’est cependant pas un jeu ! Le lien de correspondance entre la vie et le jeu s’éclaire selon ces trois possibilités : nous pourrions gagner notre vie à travers de meilleures décisions, nous pourrions échouer en faisant des faux pas ou nous pourrions encore rester seuls quand les autres partent. De plus, on notera que la forme des chapitres est fort variée dans la mesure où certains chapitres relèvent de l’actualité et non point du passé, comme dans « Le chapitre 13 ».

      Malgré les décisions que nous croyons prendre, le destin a toujours un autre choix. Pour cette raison, nous sentons que l’être humain est comme une marionnette incapable de réaction face au sort. Une philosophie pessimiste quant à la destinée se profile entre les lignes. Via cette autobiographie, J.-P. Toussaint nous transmet un message, qui est l’idée de l’instabilité. Il critique les comportements incompréhensibles des êtres humains, et tente de montrer que la peur excessive de la Covid-19 est inutile car le destin contrôle tout. Ironisant ainsi sur les mesures barrières face à cette crise, il décrit d’un mot tous les remous autour de l’épidémie : « Tout ce cirque » (ch.12).

      En guise de conclusion, nous dirons que ce récit est une plongée introspective dans les profondeurs de l’écrivain. Nous avons constaté que l’écriture était un refuge le protégeant de tous les troubles qui l’entourent. Il trouve ainsi le bon moment pour dégager ses réflexions et mettre en lumière son passé. En un mot, ce récit est bel et bien « l’échiquier de la mémoire ».

      Toka Mohamed Abd El-Aziz

      Département de Français

      Faculté de Langues (Al Alsun)

      Université Ain Chams, Égypte


      Proust, roman familial

      Laure Murat

      Éditions Robert Laffont, 2023 (256 p.) 

       

      Proust, encore et toujours

       

      Dans l'univers de Proust, roman familial de Laure Murat, nous plongeons au cœur d’une exploration intime et fascinante des liens entre la vie de l'auteure et l'œuvre monumentale de Marcel Proust. Dès les premières pages, nous sommes entraînés dans un tourbillon d'émotions, où la satire se mêle habilement à une réflexion profonde sur les valeurs d'un monde sur le point de disparaître. À travers cette œuvre, L. Murat nous offre une vision nuancée de la haute société, mêlant le réel et l'imaginaire, pour nous livrer un récit saisissant sur la quête d'identité et les dynamiques familiales.

      L'auteure, historienne et écrivaine de renom Laure Murat nous guide avec talent à travers les méandres de son histoire familiale, éclairant les liens complexes qui l'unissent à l'univers de Proust. Née dans un milieu privilégié et élevée au sein d'une bibliothèque, elle découvre dès son plus jeune âge les personnages mythiques d’À la Recherche du Temps Perdu, dont certains semblent étrangement familiers. Son immersion dans ce monde littéraire sera un véritable tournant dans sa vie, lui offrant un nouveau regard sur sa propre existence et la société qui l'entoure.

      Dans cet essai, Laure Murat nous transporte dans les salons huppés de la Belle Époque, où se côtoient aristocrates et artistes, et où les masques sociaux dissimulent parfois de profondes souffrances. À travers le prisme de La Recherche, elle explore les codes rigides de la haute société, révélant les jeux de pouvoir et les non-dits qui la gouvernent. À travers un récit autobiographique teinté d'humour et de générosité, L. Murat évoque sa découverte initiale de Proust à l'adolescence, puis sa redécouverte à l'âge adulte, soulignant l'impact profond que ces lectures ont eu sur sa perception d’elle-même et de son environnement. Elle met en lumière la capacité de l'écrivain à sonder les profondeurs de l'âme humaine et à dévoiler les hypocrisies et les faux-semblants de la société aristocratique de son époque.

      Par le biais d'une analyse subtile de l'œuvre de Proust, L. Murat révèle comment l'écrivain a osé briser les tabous et les conventions sociales de son temps, ouvrant ainsi la voie à une réflexion plus profonde sur les normes sociales et les identités marginales. Elle souligne également la pertinence contemporaine de l'œuvre proustienne, qui résonne toujours avec force dans notre société moderne.

      Au fil de son récit où se mêlent avec finesse l'intime et le littéraire, Laure Murat nous plonge dans les méandres de sa propre quête d'identité à travers une exploration profonde de l'œuvre monumentale de Marcel Proust. Entre les lignes, elle tisse un récit captivant qui révèle non seulement l'influence de la littérature sur sa vie, mais aussi l'impact universel de la recherche de soi à travers l'art et la culture.

       

      Dans les replis du temps, entre ombre et lumière,

      Laure Murat, par Proust, nous fait voyager.

      Dans ce roman familial, le cœur se libère,

      Révélant la quête, dans chaque mot gravée.

       

       

      Pierre Bahgat

      Département de Français

      Faculté de Langues (Al Alsun)

      Université Ain Chams, Égypte


      Sarah, Susanne et l'écrivain

      Éric Reinhardt

      Editions Gallimard, 2023 (420 p.)

       

      Dans la peau de Susanne

       

          Éric Reinhardt est un écrivain français et éditeur d'art né le 19 novembre 1965 à Nancy. Ses œuvres sont souvent caractérisées par une exploration minutieuse des relations humaines avec des personnages majoritairement issus des classes moyennes, d’où les défis qu’ils doivent relever dans la société contemporaine. Parmi ses œuvres les plus célèbres, on nommera son premier roman Demi-sommeil (1999) ou encore Cendrillon (2007), une œuvre qui traite de l'amour et du désir à l'ère numérique. Il reçoit le Prix Goncourt de la nouvelle en 2012 pour L'Amour et les Forêts (2014), qui explore là encore les complexités des relations humaines et les thèmes de l'emprise et de la rédemption. Son roman L'Amour et les Forêts connait un succès au point qu'une adaptation cinématographique en est produite en 2023 avec Virginie Efira dans le rôle principal. Le nouveau roman d’Éric Reinhardt, Sarah, Susanne et l’écrivain, rappelle à certains égards son grand succès, L’Amour et les Forêts, puisque l’écrivain français y sonde de nouveau les questionnements existentiels d’une femme dans son rôle de mère et d’épouse, de même que sa relation avec ses lectrices.

       

           Sarah, une femme de 44 ans, en rémission d’un cancer, décide d’abandonner sa carrière et de se consacrer à l’art. Comme son mari passe toutes les nuits dans son bureau, qu’il la néglige ainsi que ses enfants, elle ne se sent plus aimée. En même temps, elle découvre qu’il jouit de 75% de leur maison conjugale et qu’elle n’est pas propriétaire d’une part égale, ce qu’elle considère comme une trahison après plus de vingt ans de mariage. Quand elle lui demande de remédier à ces deux situations, elle se heurte à son indifférence et se voit forcée de le soumettre à un « électrochoc », seule solution selon elle pour le forcer à réagir. Mais rien ne se passe comme elle l’escomptait à tel point qu’elle exige le divorce. En raison du mutisme de son conjoint et de l’abandon de ses enfants, elle expérimente alors une profonde détérioration psychologique, qui finit par entraîner une perte totale de contrôle. Après avoir surmonté une série d’évènements dans sa vie, Sarah décide finalement de contacter un écrivain auquel elle confie son histoire. Ainsi, se dit-elle, ces tourments pourront au moins servir à nourrir une œuvre. Dans cette œuvre, l’écrivain a recours à Susanne, qui représente la vie de Sarah, avec de nombreuses variations toutefois afin que personne ne puisse la reconnaître.

           D’une part, Sarah, Susanne et l’écrivain nous met devant une alternance de deux récits qui entretiennent un double suspense captivant autour du destin malheureux de Sarah et de Susanne. De plus, cette œuvre nous présente le portrait d’une femme emplie de compassion et nous donne l’occasion de voyager dans l’imagination et la sensibilité d’un écrivain qui ne manquera pas de séduire.

           D’autre part, le roman démarre assez lentement et offre une expérience de lecture vertigineuse avec sa structure complexe, tout en suscitant de nombreuses réflexions sur les chemins qu’on choisit d’emprunter.

       

           En guise de conclusion, nous pouvons constater que ce livre, réussi sur le plan formel, fourmille d’idées ingénieuses en donnant voix à une femme qui refuse de compromettre ses idéaux face à l’indifférence égoïste de son mari. De surcroît, il transporte le lecteur au cœur du processus créatif avec une originalité captivante. On ne peut qu’être séduit à la fois émotionnellement et intellectuellement, en ressentant simultanément un coup de cœur et un profond respect.

        

      Mariam Hani

      Département de Français

      Faculté de Langues (Al Alsun)

      Université Ain Chams, Égypte


      Une façon d’aimer

      Dominique Barbéris

      Editions Gallimard, 2023 (208 p.)

       

      L’amour interdit

       

       

      Le Cameroun des années 1950, toile de fond vibrante et envoûtante, sert d'écran à une histoire d'amour poignante dans Une façon d'aimer de Dominique Barbéris. Au cœur de ce récit se trouve Madeleine, une jeune femme tiraillée entre les conventions sociales étouffantes et ses aspirations profondes à la liberté.

       

      Dès les premières pages, la plume élégante et précise de l'auteure nous captive. Elle tisse une peinture saisissante des paysages luxuriants du Cameroun et de l'atmosphère pesante de la société coloniale. Madeleine, personnage attachant et complexe, se révèle comme une femme en quête d'émancipation. Son mariage avec Paul, homme bienveillant mais trop rigide, ne comble pas ses désirs ardents.

      C'est lors d'un bal que son destin bascule. Elle y rencontre en effet Yves, figure charismatique et mystérieuse qui bouleverse son existence. Leur amour passionnel, teinté d'interdit et de dangerosité, devient une bouffée d'air frais pour Madeleine. Mais cet amour idyllique est menacé par les conventions sociales et les tensions politiques qui grondent dans le pays.

      Une façon d'aimer se révèle être bien plus qu'une simple histoire d'amour. C'est un roman qui questionne avec finesse les codes moraux et les carcans sociaux qui contraignent les individus. Dominique Barbéris met en lumière le courage et la détermination de Madeleine, qui ose briser les conventions pour vivre son amour librement.

      Le roman est également une ode à la beauté des paysages camerounais et à la richesse de sa culture. L'auteure nous offre ainsi une immersion totale dans ce pays fascinant, à travers ses descriptions sensorielles et ses personnages attachants.

      Une façon d'aimer est un roman vibrant et poignant qui ne se lâche pas facilement. Il nous invite à réfléchir sur la puissance de l'amour et la nécessité de suivre ses aspirations profondes, envers et contre tout. Un véritable coup de cœur littéraire qui vous transportera dans un voyage émotionnel inoubliable.

       

      Pour conclure, c’est l'un des romans dont je continuerai à recommander la lecture, car il procure au lecteur des sentiments d'amour, de suspense et d'aventure. Il met également le lecteur dans un état d'imagination tout au long de la lecture, comme s'il regardait un film.

       

      Lama Mohamed

      Département de Français

      Faculté de Langues (Al Alsun)

      Université Ain Chams, Égypte


      Une façon d’aimer

      Dominique Barbéris

      Editions Gallimard, 2023 (208 p.)

       

       

      Une façon d'aimer, une façon de vivre

       

      « Peut-être que le silence est une façon d’aimer – c’est une phrase que j’ai lue, ou que j’ai entendue. Je ne sais plus. » Nous disons toujours que l’amour, qu’on passe toute notre vie à chercher, n’existe pas et que ce sont seulement des histoires racontées. Tel est le cas de Madeleine.

       

       C’est une femme nantaise calme, discrète et énigmatique qui a perdu son père quand elle était jeune. Elle rencontre Guy, un homme calme, doux et aimable. Ils décident de se marier et de partir à Douala.

      Perdue dans l’environnement africain où elle est contrainte de rester avec son mari et sa fille, elle rencontre Yves Prigent dans un des bals de la délégation française. C’est un homme aventurier, discret et souvent flatteur, qui séduit beaucoup de femmes. Il est ébloui non pas seulement par la beauté de Madeleine mais plutôt par sa discrétion et ses yeux pleins d’énigmes, de peur et de douleur. Il essaie alors de se rapprocher d’elle ; celle-ci résiste au début mais ne peut finalement rester impassible face à l’aventure et à la tendresse que lui offre Prigent.

      Mais Madeleine rentre avec son mari en France et ne peut poursuivre son histoire d’amour. Cependant, je pense qu’elle a vécu une romance encore plus belle que celle de Roméo et Juliette. Guy a su ce qui s’est passé entre sa femme et Prigent, et malgré sa désespérance, il n’a pas quitté Madeleine, ne cessant de l’aimer et de la respecter malgré tout. Ce sentiment est ce qu’on appelle un amour inconditionnel.

      Pour sa part, Madeleine n’a rien raconté concernant cette expérience douloureuse et c’est sa nièce, la narratrice, qui a voulu résoudre l’énigme de sa tante après sa mort.

      Une romance inhabituelle, inattendue, toujours demandée mais jamais offerte. L’écrivaine a pu avec brio décrire la nature de l’amour espéré dans la vraie vie. Un très beau roman que le lecteur aura hâte de lire plusieurs fois pour plonger dans un monde réel mais sublimé par cet amour inconditionnel introuvable dans la vraie vie.

       

      Cependant, l’amour, ce n’est pas seulement un coup de foudre, ni juste une aventure. Le véritable amour, c’est le choix de rester auprès de ceux qu’on aime malgré tout et à tout prix. C’est de trouver la paix et non pas l’aventure. C’est de se sacrifier pour autrui, et d’aimer à mort.

       

      Maria Akmal

      Département de Français

      Faculté de Langues (Al Alsun)

      Université Ain Chams, Égypte

      Veiller sur elle

      Jean-Baptiste Andréa

      Éditions L’iconoclaste, 2023 (592 p.)

      Relations et rapports indéfinissables et ambigus

      La 121ème édition du Prix Goncourt a témoigné d’une déviation dans le système traditionnel des grandes maisons d’éditions. En effet, le Goncourt 2023 a été décerné à Jean-Baptiste Andrea pour son livre Veiller sur elle, récompensant ainsi un petit éditeur, Iconoclaste. N’écrivant que depuis 2016 du haut de ses 46 ans avec quatre romans à son palmarès, anciennement réalisateur et scénariste, l’auteur sera refusé une quinzaine de fois avant de trouver refuge dans l’édition fondée par Sophie de Sivry. Cette dernière, morte en juin 2023, soit peu avant la parution de ce chef d’œuvre en août, fait partie de la liste des femmes fortes qui ont animé la flamme de l’écriture chez l’auteur : « Elle infuse ce livre »1. Jean-Baptiste Andrea est ainsi un outsider qui « a seulement osé se confronter au roman à 46 ans »2 et réussi à chambouler les codes des prix littéraires, notamment du plus prestigieux.

      Le livre dépeint une atmosphère romanesque entre Réel et Imaginaire. L’histoire débute et s’achève en 1986, dans un monastère, au chevet d’un homme qui se meurt. Ce n’est pas un moine. Il se remémore ses 82 ans d’aventures et nous invite à le suivre dans ce voyage temporel rétrospectif. On apprend alors l’origine de son prénom qu’il déteste, Michelangelo Vitaliani : ses parents lui prophétisaient un avenir radieux dans la sculpture ; son nanisme, ses rencontres, notamment les Orsini, son ascension sociale qui passe nécessairement par le fascisme, et bien sûr elle.

      Nous nous retrouvons donc dans l’Italie de l’entre-deux-guerres. Mimo (détestant son vrai prénom) vit en France et est issu d’une famille d’immigrés italiens. Devenu orphelin de père suite à la guerre, il est envoyé par sa mère en Italie chez un maitre-artisan, Alberto Susso, en 1916. Suivant Alberto, il arrive au village de Pietra Alba, une étendue géologique où il découvrira les deux éléments de son succès. C’est là-bas qu’il se retrouvera face à face à la Pietà de l’Église qu’il critiquera ; et il fera la connaissance de cette fille à qui il devra ses deux seuls évanouissements avec sa « transformation » en ourse et en zombie : Viola Orsini, riche héritière d’une famille aristocratique de quatre enfants. Celle-ci décèle chez lui un talent anormal pour la sculpture et lui diagnostique « un déficit aigu d’imagination »3. Un serment pour que leurs deux rêves se réalisent : Mimo-qui-sculpte et Viola-qui-vole. Tout les sépare : physique, ambitions, milieux sociaux... Les héros sont contrariés et empêchés : le sculpteur parce qu’il est nain, Viola parce qu’elle est femme. Ils sont des jumeaux cosmiques, ce qui rend leur relation compliquée à définir. « Définir, c’est tuer quelque chose. Je n’ai pas envie de définir cette relation : elle est multiforme »4, confie l’auteur à France Culture.

      C’est un récit qui évoque les rapports entre pouvoir, religion et art. De ce fait, Rome et Florence seront les décors phares. On va donc voir comment un sculpteur, qui affirme ne pas se mêler de politique, sert le gouvernement de Mussolini sans le savoir. On va comprendre dans quelle mesure le religieux se rallie au politique ; et si ce soutien s’effectue de plein gré ou non. On aura droit à

      une première esquisse des secrets vaticanais sous forme de censure. L’art et la beauté sont au cœur de cette histoire : l’art est instrumentalisé dans un Soft-Power futuriste mais peut également servir d’outil de résistance.

      L’ambiguïté du titre avec l’infinitif « Veiller » et le pronom personnel « elle » rend confus toute prévision sur le contenu du livre, notamment au niveau de l’identité d’elle (humain, objet…), insérée intentionnellement par l’auteur. « Là c’est absolument l’intérêt. Dans ce titre, c’est sa double sonorité, le fait qu’on pouvait le lire de deux façons »5. La couverture offre également un cadre mystérieux avec une villa, derrière un brouillard, des arbres et arbustes ; et une lumière discrète qui scinde le paysage. À la fin du livre, j’ai remarqué que les éléments de fin étaient prévisibles, mais que les allers-retours fréquents avec le présent correspondant à 1986 avaient troublé mon esprit analyste de lecteur. Je peux donc extraire une symétrie logique non seulement dans la dimension chronologique mais également avec la Réalité : Mimo est italien et vit en France ; l’auteur Andrea est français avec des origines italiennes. Le système de parapente utilisé par Viola ressemble à celui de l’héroïne d’enfance de l’auteur, Fantômette. Un siècle sépare le début des aventures du protagoniste voyageant en Italie en 1916 et celui de la carrière d’écrivain de Jean-Baptiste Andrea en 2016. « La sculpture, je l’emploie ici comme représentant de tous les arts »6. En faisant l’éloge de la sculpture, il complimente ainsi l’écriture et le cinéma. Enfin, les lieux choisis ont chacun leur signification adéquate au déroulement de l’histoire : la mort au monastère, le choix du prénom dans un champ de pierre, Rome pour les affaires, Florence pour la floraison artistique, Pietra Alba lieu calme ébranlé par les évènements.

      Je recommande cette lecture à tout amateur d’art, de politique, de mystères ; à chaque personne souhaitant un aperçu historique de l’époque dans un décor romanesque.

      Maroun Abi Zeid

       Département de Littérature et de Lettres Françaises

      Faculté des Lettres et des Sciences Humaines II

      Université Libanaise, Liban


      Triste tigre

      Neige Sinno

      Les éditions P.O.L, 2023 (165 p)

      La cloche fêlée

      Pour les amoureux des chantiers arides, pour ceux qui aiment la syntaxe dépourvue de poésie et empreinte d’économie et de simplicité, pour les chercheurs de situations – une situation pour s’apitoyer ou une autre pour éteindre les brasiers de l’instinct –, un seul conseil : lisez Triste Tigre. Ce livre assouvira sans doute la soif des gosiers habitués aux liqueurs amers et fortes, tant l’esprit après une première lecture se trouvera ivre de cette matière devenue abondante sur le marché du livre, une matière qui déconcerte l’esprit mais qui l’excite en même temps et séduit les âmes les plus hardies.

      Métaphoriquement, ce texte aborde la profanation d’un temple, ou bien plutôt la profanation du corps d’une femme. Neige Sinno s’évertue en effet à dépeindre le calvaire enduré par sa personne en exposant, de la façon la plus explicite qui soit, la réalité dans toute son atrocité et ses reliefs : la jeune fille qu’elle fut est violée par un père infirme d’esprit. Elle exhume ses pensées sans pour autant trouver le baume qui apaise sa souffrance.

      Faisant l’autopsie de sa mémoire, elle progresse lentement, haletante et hésitante dans son discours autobiographique. Ainsi pourrions-nous la comparer à la Cloche fêlée de Baudelaire, image allégorique faisant allusion à l’homme qui manque d’inspiration et qui n’arrive pas à dégager ses souvenirs des brumes de l’oubli. À l’extrême opposé de notre poète romantique, elle refuse d’exploiter son mal pour créer de la beauté, enterrant ainsi l’art dans ce cimetière qu’est son livre. Pour cela, elle déclare : « Faire de l’art avec mon histoire me dégoute », sapant dès lors les fondements même de la littérature. Et ayant ainsi renoncé au travail ardu de restituer par le biais de son intelligence le passé lointain, elle préfère plutôt édifier son récit sur les bases fragiles de quelques textes qui la rejoignent dans leurs thématiques de violence et de transgression. Il est possible de décrire le personnage-auteure qui endosse ce discours en quelques mots. C’est d’abord Raskolnikov portant sur sa conscience les dérives d’un abus. C’est encore Dante Alighieri qui s’engouffre dans un enfer sans purgatoire ni paradis. C’est ensuite l’homme primitif ayant perdu à jamais l’innocence originelle dont Dieu le pourvut aux temps heureux de sa création, et c’est enfin l’athée réfractaire à la religion, refusant d’entrevoir une lumière d’espoir qui pourrait sonder la noirceur de ses abimes.

      Somme toute, ce livre mériterait de siéger en cours de justice. Il jouerait le rôle du parfait avocat des causes perdues. Sans cela, pour tous ceux qui cherchent, dans ce piètre monde, à goûter aux délices de la fiction ou à déguster « l’ambroisie et le nectar vermeil », ils ne trouveront dans ces pages que déception et amertume. Bref, il est certain que si un jour ce livre fait l’objet d’un bûcher ou d’un autodafé, les lecteurs potentiels peuvent dormir tranquilles, ils ne s’en attristeront pas le moins du monde.

      Charbel Gemayel

      Département de Littérature et Langue Françaises

      Faculté des Lettres et des Sciences Humaines II

      Université Libanaise


      Triste tigre

      Neige Sinno

      Éditions P.O.L, 2023 (288 p.)

      Un rugissement sanglotant

      Triste Tigre de Neige Sinno, récompensé par plusieurs distinctions littéraires, est bien plus qu'un récit sur l'inceste. C'est une plongée profonde dans les méandres de l'enfance dévastée, une exploration courageuse du pouvoir et de l'impuissance de la littérature à donner voix à la souffrance. Avec une écriture poignante et réfléchie, l'auteure nous entraîne dans un voyage où les frontières entre ténèbres et lumière, entre le tigre et l'agneau, sont délicatement explorées.

      Neige Sinno a tracé son chemin dans le monde littéraire en sondant les horizons de la littérature américaine, focalisant son attention sur des figures majeures telles que Raymond Carver et Richard Ford. Ses études l'ont conduite des États-Unis au Mexique, où elle réside actuellement. Collaboratrice d'Edmond Baudoin, enseignante vacataire et traductrice, Sinno a amorcé son parcours littéraire avant de se révéler au grand public avec Triste Tigre après un recueil de nouvelles en 2007 et un roman en 2018.

      Le récit s'articule autour des viols réguliers subis par la narratrice, Neige Sinno, entre l'âge de 7 et 14 ans, perpétrés par son beau-père. Habitant dans les Alpes des années 90, la famille recomposée vit une existence marginale. Le procès et la condamnation de l'agresseur ne marquent pas la fin du traumatisme.

      Le titre Triste Tigre se profile comme une porte d'entrée énigmatique vers l'univers intime et tourmenté de Neige Sinno. La juxtaposition de ces deux mots, "triste" et "tigre", suscite immédiatement une tension émotionnelle et symbolique. Le "tigre" évoque la puissance animale, la force brute, mais associé à "triste", il acquiert une nuance de mélancolie et de vulnérabilité. Cette dualité suggère une profonde complexité, peut-être même une dualité intrinsèque de la protagoniste. Le choix du titre ne se limite pas à une simple métaphore, mais semble être un écho profond aux thèmes du livre, explorant la coexistence de la force et de la fragilité, de la résilience et de la douleur. Ainsi, Triste Tigre ne se révèle pas seulement comme une simple étiquette, mais plutôt comme une invitation à sonder les contradictions de l'expérience humaine, à explorer les nuances entre la férocité du tigre et la tristesse qui peut habiter son fond le plus sombre.

      Neige Sinno adopte un style d'une sincérité tranchante, dénué de pathos. Elle tente de dégoupiller sa "petite bombe" littéraire sans concession ni recherche du sensationnalisme. Son écriture se nourrit de références littéraires, allant de Nabokov à Woolf, de Toni Morrison à Christine Angot. Le titre même, référence à Trois Tristes Tigres de Guillermo Cabrera Infante, s'inscrit dans une tradition littéraire complexe et puissante.

      Triste Tigre transcende les frontières du récit individuel pour devenir un témoignage universel sur la résilience et la douleur. Dans un monde marqué par les ténèbres de l'humanité, ce roman brille comme un phare d'espoir, rappelant au lecteur la force inébranlable de la volonté humaine face à l'adversité. Neige Sinno offre non seulement un récit poignant, mais aussi une invitation à la réflexion, à la compassion et à la compréhension mutuelle.

      Entre les lignes tristes, rugit un tigre éperdu,

      L'encre de Neige Sinno danse, le cœur fendu.

      Sous l'ombre des Alpes, la douleur murmure,

      Triste Tigre dévoile la résilience qui perdure.

      Pierre Bahgat

      Département de Français

      Faculté de Langues (Al Alsun)

      Université Ain Chams, Égypte

      Croix de Cendre

      Antoine Sénanque

      Éditions Grasset, 2023, (432 p.)

      Voyage au bout de la mémoire

      « Si tu aimes ton frère, tu aimes l’amour. Si tu aimes l’amour tu aimes Dieu. » (p. 384). Cette phrase qu’Antoine SÉNANQUE emprunte à Saint-Augustin cristallise l’essence de Croix de cendre, un roman de spiritualité et d’amitié. Antoine SÉNANQUE est le pseudonyme d’Antoine MOULONGUET, un neurologue français auteur de plusieurs romans et essais. Ce roman, comme d’autres ouvrages de SÉNANQUE, brise le cliché de l’homme de sciences non spirituel.

      En 1348, la peste noire s’est propagée en Europe, ébranlant les âmes des Européens aussi bien que leurs corps. Dans Croix de Cendre, un seul homme connaît le secret de sa véritable origine... et il souhaite le dévoiler.

      Le roman s’ouvre en 1367 sur le site du monastère de Verfeil. Une mission a été confiée à deux frères dominicains, Antonin et Robert ; celle d’apporter le vélin et l’encre qui permettront au prieur Guillaume d’écrire son chant du cygne : une confession. Mais les deux frères se trouvent victimes d’un complot ourdi par l’Inquisition qui emprisonnera Robert. Le prix de sa libération ? Le secret de l’origine de la peste et de la mort du théologien Maître Eckhart.

      Ce roman témoigne de la finesse de SÉNANQUE qui réussit à faire un amalgame de plusieurs genres sans compromettre la qualité d’aucun. Croix de Cendre est au fond une fresque historique médiévale qui échappe à l’illustration caricaturale habituelle du Moyen Âge. C’est, aussi bien, un polar religieux. Dans la même lignée, en lisant les dialogues entre l’Inquisiteur et le prieur Guillaume, le lecteur a l’impression de lire un roman à suspense. Finalement, le roman est aussi un récit de voyage qui transporte le lecteur de Toulouse à Avignon avec Antonin. En outre, à travers la mémoire du prieur, le lecteur voyage sur la route de la soie, se rend au port de Kaffa en Crimée et visite la Sorbonne au cœur de Paris.

      En effet, le lecteur suit deux récits. Le premier, qui est au présent, prend place en 1367. L’omniscience du narrateur met en valeur le thème religieux du roman. Le prieur Guillaume, qui sent la mort frapper à sa porte, est hanté par son passé. Pour se délivrer de sa peine, le prieur dyslexique dicte à Antonin sa confession. Le second récit est alors un récit enchâssé. Il s’agit d’une analepse où Guillaume, le Shéhérazade du roman, raconte son histoire qui commence par sa rencontre avec Maître Eckhart en 1313.

      Quant au style de SÉNANQUE, il faut noter que le roman moule des idées philosophiques denses dans un cadre historique lointain. Cependant la lecture n’est pas réservée aux aficionados de cette période, ni de cette philosophie. Avec la plume d’Antoine SÉNANQUE, tout est compréhensible. L’auteur explique des détails historiques avec l’habileté d’un historien et décrit les paysages médiévaux avec la clarté d’un voyageur temporel. De plus, ces explications ne sont jamais ennuyeuses ni didactiques. En fait, elles s’infiltrent harmonieusement dans la narration. Ajoutons à cela le style familier et l’humour que l’auteur instille aux dialogues et dont l’usage facilite l’humanisation de ces personnages médiévaux. En bref, Antoine SÉNANQUE réussit à démythifier le Moyen Âge.

      En effet, Antoine SÉNANQUE rend cette époque lointaine plus accessible au lecteur à travers son choix de thèmes qui témoigne de la valeur cyclique du temps. Des thèmes actuels comme les pandémies et leurs effets sur le comportement des individus, le traitement des détenus, l’abus du pouvoir, la propagation de fausses nouvelles etc. ont été abondamment abordés ainsi que deux thèmes infiniment universels : le remords et l’amitié. D’un côté, les réflexions de Guillaume sur le regret sont douloureuses mais sublimes. Le lecteur se trouve conforté par le fait que même les hommes de Dieu ont des regrets. De l’autre côté, les deux

      amitiés représentées, entre les pairs Guillaume-Jean et Robert-Antonin, sont le moteur qui conduit l’histoire et le cœur battant de celle-ci.

      Pour finir, MALHEUR à qui ne lira pas Croix de Cendre ! Il perd pour ainsi dire la chance d’une lecture émouvante, éblouissante, une rencontre avec des personnages absolument aimables et une plume magnifique. N’ayez pas peur de la taille du livre ! Les chapitres courts garantissent une lecture rapide et divertissante. Croix de Cendre est à lire chez Grasset.

      Fatma Zaky

      Département de Langue et de Littérature Françaises

      Faculté des Lettres

      Université d’Alexandrie


      Une façon d'aimer

      Dominique Barbéris

      Éditions Gallimard, 2023, 208 pages.

      Un amour dans l'ombre du silence

      Une façon d’aimer écrit par Dominique Barbéris, romancière et enseignante universitaire française, constitue un véritable chef-d'œuvre qui nous plonge dans une histoire d'amour intense et bouleversante dans la France coloniale des années 50. Ce roman a connu un vif succès et a remporté le « Grand Prix du roman » de l'Académie française en 2023. Parmi les romans de Barbéris qui ont acquis une grande notoriété, nous pouvons citer également Un dimanche à Ville-d'Avray ainsi que L'année de l'éducation sentimentale qui a remporté le prix Jean-Freustié en 2018.

      Il était temps pour Madeleine, jeune femme réservée et mélancolique âgée de 25 ans, de se marier. Ayant rencontré un jeune homme charmant, gentil, attentionné et de bonne situation, Madeleine savait qu'elle devait faire son choix pour éviter de rester vieille fille. Ce mariage n'était pas fondé sur l'amour, mais plutôt sur la nécessité de se conformer aux attentes de la société.

      En 1955, Madeleine, la jeune bretonne introvertie, accompagne son mari à Douala, au Cameroun, où elle est confrontée à un monde nouveau, à la fois fascinant et hostile. Or, sa rencontre avec Yves Prigent, homme charismatique et mystérieux, la bouleverse profondément. En effet, l’histoire de Madeleine est narrée, 70 ans plus tard, par sa nièce qui tente de rassembler les pièces disjointes du puzzle de sa vie à partir d’anciennes photos, de lettres jaunies et de quelques coupures de journaux.

      Barbéris manie avec élégance et finesse sa plume et donne vie à des personnages complexes et attachants. Madeleine, tiraillée telle une Princesse de Clèves moderne entre son devoir conjugal et ses désirs secrets, nous touche par sa sensibilité. Quant à son amoureux, Yves, il représente l'aventure et la liberté, mais aussi un danger potentiel. Madeleine l'aime à sa façon, en complète discrétion. La romancière a inséré dans son roman une musique à la fois douce, tendre, mélancolique et exaltante, créant ainsi une atmosphère romantique par excellence.

      Une façon d’aimer dépeint le Cameroun pendant la décolonisation et met l’accent sur les circonstances sociales du pays qui ont influencé les choix et les destins des individus. Il constitue également un témoignage poignant sur la fin de l'ère coloniale. En effet, la romancière a choisi de situer l’histoire d’amour de Madeleine dans sa ville natale tout en brossant un tableau de l’époque de ses parents.

      Bref, Une façon d’aimer constitue un roman poétique où souvenirs, fiction, musique, amour, passion et silence s’entrelacent. Il nous invite à réfléchir à la puissance de l'amour et aux complexités de la vie à une ère révolue.

      Chahd Taha Moustafa

      Département de Langue et Littérature Françaises

      Faculté des Lettres

      Université d'Alexandrie, Égypte


      Croix de Cendre

      Antoine Sénanque

      Éditions Grasset, 2023, (432 p.)

      Fresque historique, polar religieux et quête spirituelle

      Croix de cendre est un livre qui nous plonge dans le Moyen Âge, à l'époque de la peste noire, de l'Inquisition et des guerres de religion. Le roman suit les aventures de deux jeunes moines dominicains, envoyés par leur prieur à Toulouse pour acheter du parchemin de qualité. Ils ne se doutent pas que ce voyage va les entraîner dans une dangereuse quête du secret de Maître Eckhart, un célèbre théologien mystique, accusé d'hérésie et mystérieusement disparu. Le prieur, qui a été son disciple, veut révéler la vérité sur les origines de la peste et sur la pensée d'Eckhart, ce qui pourrait remettre en cause les fondements de l'Église.

      Le roman est construit sur deux niveaux de narration : le récit au présent des péripéties des deux moines, traqués par l'Inquisition et confrontés à de multiples dangers ; et le récit au passé des mémoires du prieur, qui raconte sa jeunesse aux côtés d'Eckhart, leur voyage en Orient sur la Route de la soie, et leur implication dans le siège de Kaffa, où la peste aurait été propagée par les Mongols. Ces deux récits s'entrecroisent et se répondent, créant un suspense haletant et une profondeur historique.

      Le roman est aussi un voyage à travers l'Europe et l'Asie du XIVe siècle, avec des descriptions riches et vivantes des lieux, des cultures, des coutumes et des événements de l'époque. L'auteur nous fait découvrir des aspects méconnus ou oubliés de l'histoire, comme le rôle des femmes, les béguines qui ont influencé la pensée d'Eckhart, ou encore la diversité religieuse et culturelle du monde médiéval. Le roman est également une réflexion sur la foi, la liberté, la fraternité et le sens de la vie, à travers les paroles et les choix des personnages, inspirés par la philosophie d'Eckhart, qui prônait une union intime avec Dieu, au-delà des dogmes et des rites.

      Croix de cendre est donc un roman passionnant, qui mêle habilement fiction et réalité, aventure et spiritualité, histoire et mystère. C'est un livre qui nous fait voyager, réfléchir et rêver, tout en nous captivant par son intrigue et son style. C'est un coup de maître d'Antoine Sénanque, qui signe là son premier roman.

      Abdullrahman Alaa

      Département de français

      Faculté des Langues

      Université de Bagdad


      Veiller sur elle

      Jean-Baptiste Andréa

      Éditions L’iconoclaste, 2023 (592 p.)

      Sculpter l'Amour

      Veiller sur elle est le troisième roman de Jean-Baptiste Andrea qui est un écrivain, scénariste et réalisateur français. Il a reçu le prix Goncourt et le prix du roman Fnac en 2023. Veiller sur elle est une histoire d'amour impossible entre deux êtres que tout oppose : Mimo, un sculpteur de génie né pauvre et atteint de nanisme, et Viola, une héritière rebelle issue d'une famille puissante de Gênes. Le roman suit leur destinée durant le XXe siècle, marquée par les bouleversements historiques, politiques et artistiques de l'Italie, car "on ne quitte pas quelque chose qu’on aime sans se retourner", souligne le personnage principal.

      Le roman s'ouvre en 1986, dans un monastère où Mimo vit reclus depuis quarante ans, sans avoir prononcé ses vœux. Il veille sur sa dernière œuvre, une statue mystérieuse qui effraie tous ceux qui la voient. Il se souvient alors de sa vie, de sa première rencontre avec Viola en 1916, alors qu’il était apprenti chez un sculpteur médiocre, de leur amitié puis de leur amour, de leurs séparations et de leurs retrouvailles, de leurs rêves et de leurs désillusions. Il raconte aussi comment il est devenu un artiste reconnu, comment il a créé son chef-d'œuvre, et pourquoi il a choisi au final de se retirer du monde.

      Veiller sur elle est un roman qui mêle habilement la fiction et la réalité, en s'inspirant de faits et de personnages réels, comme le sculpteur Arturo Martini, le poète Gabriele D'Annunzio, ou le dictateur Benito Mussolini. Le roman explore les thèmes de l'art, de la création, de la liberté, de la passion, de la souffrance, de la mort, de la foi, de la résistance, du fascisme, de la guerre, mais aussi de la paix, de l'amour, de l'amitié, de la famille, de la solitude et du destin. Le livre est écrit dans une langue fluide, élégante, poétique, qui rend hommage à la beauté de l'Italie et à la richesse de sa culture. Il est aussi rythmé par des dialogues vifs, drôles, émouvants, qui font vivre les personnages et leurs relations.

      Veiller sur elle séduit d’abord par son titre, par son souffle romanesque, sa profondeur historique et humaine, sa sensibilité artistique et émotionnelle. C'est une œuvre qui fait rire et pleurer, réfléchir et rêver, voyager et vibrer. C'est un roman qui touche le cœur et l'esprit, laissant une trace indélébile dans la mémoire du lecteur. C'est un livre à lire et à relire, à offrir et à partager. C'est un ouvrage magnifique, tout simplement.

      Maream Mohammed

      Département de français

      Faculté des Langues

      Université de Bagdad, Irak


      Sarah, Susanne et l'écrivain

      Éric Reinhardt

      Editions Gallimard, 2023 (420 p.)

      Entre Sarah et Susanne : L'Écriture d'une Vie

      Écrivain français contemporain, Éric Reinhardt nous offre un récit captivant dans son roman Sarah, Susanne et l’écrivain. L'ouvrage a été publié par Gallimard en août 2023.

      Dans ce roman, Sarah confie l'histoire de sa vie à un écrivain qu'elle admire. Ce dernier transforme alors son récit en un roman où Sarah devient Susanne. Au départ, Susanne ne se sent plus aimée comme autrefois. Son mari se retire chaque soir dans son bureau, la laissant seule avec leurs enfants. Parallèlement, elle découvre qu'il possède soixante-quinze pour cent de leur domicile conjugal. Troublée, elle demande à son époux de rééquilibrer la répartition des biens. Ainsi débute un récit poignant qui explore les complexités de l'amour et du couple. Sarah, Susanne et l’écrivain aborde des thèmes tels que l'amour, la famille, la quête d'identité et les relations conjugales. L'histoire nous plonge dans les émotions et les tourments de Susanne, qui cherche à redéfinir sa place dans un monde où les rôles sont souvent préétablis. "Elle leur est complètement sortie de l’esprit. Comment peut-on disparaître aussi vite de la vie de ceux que l’on aime ? C’est comme si elle était morte de son cancer et qu’elle avait eu la faculté de revenir les voir vivre une fois décédée."

      Éric Reinhardt signe ici un roman magistral. Sa plume élaborée, sensible et poétique nous entraîne dans l'univers de Sarah/Susanne. L'auteur explore avec finesse les méandres de la psychologie féminine, la manipulation, et les défis auxquels font face les femmes dans leur quête d'accomplissement. Malgré la densité du texte, la lecture est captivante et déroutante. Sarah, Susanne et l’écrivain est une œuvre qui interpelle et invite à la réflexion.

      Le titre de notre chronique, Entre Sarah et Susanne : L'Écriture d'une vie, évoque la dualité entre les deux personnages, tout en mettant en lumière le processus d'écriture qui façonne leur existence. La créativité et l'originalité de l'œuvre sont mises en avant, avec un soupçon d'humour subtil.

      En somme, Sarah, Susanne et l’écrivain est un roman qui mérite d'être découvert, exploré et discuté. Il nous rappelle que chaque histoire est unique et que l'écriture peut révéler des vérités profondes sur la condition humaine.

      Marim Ahmed Ali

      Département de français

      Faculté des Langues

      Université de Bagdad, Irak


      L’Échiquier

      Jean-Philippe Toussaint

      Éditions de Minuit, 2023 (256 p.)

      L’Échiquier ou le jeu de la mémoire

      Paru aux Éditions de Minuit en août 2023, L’Échiquier est le dernier roman de Jean-Philippe Toussaint, écrivain belge, né en 1957 à Bruxelles. Il s’agit d’un récit autobiographique, dans lequel l’auteur se raconte depuis son enfance, en évoquant sa passion pour le jeu d’échecs, son rapport à l’écriture et sa relation avec son père. Le livre est composé de 64 chapitres, à l’instar des cases de l’échiquier, qui dessinent un parcours vers les origines et la mémoire.

      C’est aussi le livre d’un confinement, celui que l’auteur a vécu à Bruxelles, en mars 2020, au moment où la pandémie de Covid-19 a bouleversé le monde. Pour occuper ses journées, Toussaint se lance dans deux projets : la retraduction de la nouvelle de Stefan Zweig, Le Joueur d’échecs, et l’écriture de son propre livre, L’Échiquier. Il se plonge ainsi dans l’univers du jeu d’échecs, qu’il pratique depuis son enfance, et qui lui sert de fil conducteur pour explorer son passé.

      À travers les souvenirs qui remontent à la surface, il retrace son parcours, de son école bruxelloise à son pensionnat de Maisons-Laffitte, de ses premières amours à sa rencontre avec Madeleine, de ses voyages à ses lectures, et de ses films à ses romans. Il relate surtout le rôle essentiel qu’a joué son père, Yvon Toussaint, journaliste et écrivain, qui lui a transmis le goût de l’écriture et du jeu d’échecs, mais aussi une certaine distance avec le monde. Il revient par sa mémoire sur les parties qu’ils ont jouées ensemble, les victoires et les défaites, les silences et les non-dits, les complicités et les conflits. Il évoque avec tendresse et nostalgie ce lien si particulier qui les unissait, entre admiration et rivalité, entre amour et incompréhension. « Je n’ai pas eu la vocation, j’ai eu la permission » disait l'auteur révélant son souhait de suivre le chemin de son père et, en même temps, exprimant sa gratitude envers lui.

      L’Échiquier est un livre magnifique, qui mêle avec finesse et sensibilité l’intime et l’universel, le réel et l’imaginaire, le passé et le présent. C’est aussi le récit d’une quête, celle de l’auteur qui cherche à comprendre qui il est, d’où il vient, ce qu’il doit à son père. Celle du lecteur ensuite, qui suit le cheminement de sa pensée, de ses émotions, de sa créativité. Celle du joueur d’échecs enfin, qui affronte le temps, la mémoire, l’adversaire, et qui cherche à résoudre le mystère de l'échiquier.

      L’écriture de Jean-Philippe Toussaint est élégante, précise, fluide, tour à tour drôle et émouvante. Il réussit à nous faire entrer dans son intimité, sans jamais tomber dans le narcissisme ni le pathos. Il nous fait partager sa passion pour le jeu d’échecs, sans être ennuyeux ni pédant. Il nous fait réfléchir sur le sens de la vie, de l’art, de la littérature, sans pour autant être dogmatique ou prétentieux, car pour lui, « l’écriture romanesque est une méthode de connaissance de soi ».

      Abdullah Al-Qazzaz

      Département de français

      Faculté des Langues

      Université de Bagdad, Irak


      Humus

      Gaspard Koenig

      Editions L’Observatoire, 2023 (p. 379)

      L’utopie du retour à la Terre

      Deux étudiants en agronomie, angoissés par la crise écologique, veulent changer la planète. Arthur entend réintroduire des lombrics sur les terres de son grand-père, en Normandie, et réparer de la sorte les dégâts causés par les pesticides, quand Kevin, enfant du Limousin, met au point un traitement naturel à base de déchets.

      Ainsi, Arthur, d'origine bourgeoise, reprend la ferme de son grand-père pour y réintroduire des lombrics, tandis que le plus pauvre, Kevin, qui est d'origine modeste, crée une start-up pour fabriquer du vermicompost qu'il espère vendre dans le monde entier. Le roman nous montre comment le premier, un idéaliste néorural, va choisir l'activisme radical tandis que le second, monté trop vite, va faire une chute vertigineuse.

      Au fil de leur apprentissage, les deux amis mettent leurs idéaux à rude épreuve. Du bocage normand à la Silicon Valley, des cellules anarchistes aux salons ministériels.

      Ce roman dépeint de manière intelligente notre société moderne. On y assiste à l’échec d’une utopie souhaitée. Parfois, on aspire en effet à être idéaliste pour sauver un monde qui refuse d’être sauvé. Humus est là pour justement mettre en relief un projet humaniste dont l’objectif est de sauver l’humanité.

      Mais ce projet se heurte au réel et n’aboutira pas, comme si le monde moderne refusait l’idéalisme et les normes de la Nature. Dès lors, ce texte nous pousse à poser la question suivante : où va notre monde ?

      Pour conclure, je vois ce roman comme le reflet d’un univers désenchanté et aux projets utopiques. Car ils sont quasiment irréalisables dans notre monde actuel. Nous nous retrouvons ainsi à l’intérieur de cette bataille qui paraît sans fin entre ceux qui veulent détruire le monde et ceux qui veulent le sauver. Qui gagnera à la fin ?

      Ghazal Wesam

      Département de français

      Faculté des Langues Étrangères

      Université de Jordanie, Jordanie


      Humus

      Gaspard Koenig

      Editions L’Observatoire, 2023 (p. 379)

      Humus : Laissons la planète panser ses propres plaies !

      « Homo vient d’humus. Homo vit d’humus. Puis Homo a détruit humus. Et sans humus pas d’Homo. Simple ». Et si la seule façon de sauver la planète était de régresser vers le traditionnel organique ? Et si le seul moyen de s’assurer un avenir était de retourner au passé ? Et si notre existence entière reposait sur des animaux visqueux et tortillants, des « pharaons aveugles » ?

      Gaspard Koenig joint sa plume à celle de la majorité des écrivains du vingt-et-unième siècle et élabore un écrit où l’avenir écologique constitue la toile de fond. L’ouvrage, loin d’être une simple sonnerie d’alarme, égrène à travers la littérature, des exécutoires. Dans ce texte aussi info-explicatif que narratif, l’intrigue et les personnages se heurtent à l’effet scientifique de documentation où le cachet essayiste de Koenig ne manque pas de se trahir.

      Le roman débouche sur Arthur et Kevin : deux ingénieurs agronomes traînant les pieds dans AgroParisTech. D’une manière ou d’une autre, on a l’impression qu’il s’agit d’une identité double et non pas de deux personnages distincts. Après l’obtention des diplômes, leurs parcours se séparent : Arthur rejoint, avec sa copine, la maison abandonnée par son père pour réhabiliter quelques hectares de terre à l’aide de lombrics. Kevin, quant à lui, préfère arpenter la ville parisienne et vendre des vermicomposteurs : des vers de terre qu’on mettra chez nous afin qu’ils consomment nos déchets quotidiens et les transforment en pur terreau. Arthur et Kevin ont beau prendre le relais de l’action, on a l’impression que ce sont les lombrics qui sont les véritables protagonistes du roman : « Qu’est-ce que l’homme ? […] Etymologiquement, rien d’autre que de l’humus. Voilà pourquoi, c’est l’humus qui sauvera l’homme ».

      Le lecteur suivra ainsi une double aventure où l’ambition déborde et les rêves se heurtent, esquissant l’idéal d’une planète sauvée par la main de l’homme. Arthur fait tout son possible pour donner aux lombrics une maison hospitalière. Un an plus tard, il examine la terre, mais le résultat est déceptif : « l’homme était trop faillible, sa science était trop neuve, son horizon trop limité ». Désespéré, il s’apprête à sa mort par humusation : avoir le corps transformé en humus et nourrir la terre à son tour comme elle l’a nourri.

      Kevin fondera Véritas avec son amie Philippine, une entreprise basée sur des lignes peuplées de vers de terre où on déversera les ordures du monde en attendant qu’elles se transforment en terreau. Or, « le capitalisme est un tas de déchets. Il y a ceux qui arrivent à en faire du bon compost, et les autres. ». Kévin, lui, fait partie des autres. Une simple faute suffit à balayer son empire. Dès lors commence sa chute matérielle et morale : voulant être le sauveur de la planète, il devint le couard qui contribuera à sa perte.

      « Ce vers idiot d’Eluard, ‘la terre est bleue comme une orange’. Finalement notre siècle lui donne raison. L’homme a pelé la terre comme on pèle une orange. Il en a ôté le zeste. Ne reste plus qu’un caillou aux reflets d’argent ».

      Bien que les deux protagonistes se plient à un échec abyssal, leurs idées ne manquent pas de talent ; c’est juste l’exécution qui annihile et bouleverse. Dans ce sens, le roman cesse d’être un moyen de divertissement et devient une cause en mesure de sauver l’humanité.

      En revanche, c’est contre toute attente que l’ouvrage comporte, vers le dénouement, un éclairage épique. De l’effet documentaire qui traine en longueur, la rébellion lui ajoute ce côté actif qui lui manquait. Néanmoins, la trace narrative est tellement autre qu’on a du mal à croire qu’il s’agit du même roman. Les révolutionnaires, présidés par Arthur, attaquent le ministère de l’environnement.

      Une bousculade rebelle et acharnée brûle, ravage, dans des bains de sang. Au milieu de cette scène de Germinal, Kevin et Arthur se mêlent l’un à l’autre, dépeignant une aquarelle similaire à celle d’Eponine et Marius à l’abri des barricades de la Révolution française. À ce moment, on ne les voit plus comme des intellos issus de la faculté agricole mais bien comme des héros acharnés qui prennent en main l’avenir. La tension atteint son sommet, les cadavres s’amassent : « Arthur se colla contre Kevin, buste contre buste, joue contre joue, comme un enfant perdu qui se blottit contre sa mère ».

      Pourtant, au bout des dernières pages de l’épilogue, Koenig nous glisse une promesse de printemps. Une scène qui m’a rappelé assurément un proverbe mexicain : « Ils ont essayé de nous enterrer. Ils ne savaient pas que nous étions des graines ».

      Joanne Boutros Tartak

      Département de Littérature et Langue Françaises

      Faculté des Lettres et des Sciences Humaines III

      Université Libanaise


      Proust, roman familial

      Laure Murat

      Éditions Robert Laffont, 2023 (256 p.)

      L'intimité révélée : Proust à travers le prisme familial de Laure Murat.

      « Et qu'est-ce qu'A la recherche du temps perdu, sinon le grand livre d'une vocation qui s'achève sur l'embarquement vers la création, en laissant une aristocratie sans œuvre à quai ? »

      C'est en se plongeant dans les sept tomes de Marcel Proust, l’écrivain célèbre pour son œuvre majeure À la recherche du temps perdu, que l'historienne acquiert une compréhension approfondie de son milieu d'origine, ce qui l'a ensuite aidée à s'en détacher. Cette immersion dans l'œuvre l'a conduite en effet à découvrir que la société décrite par Proust reflétait celle qu'elle avait connue, avec ses origines nobles issues de l'Empire et de l'Ancien Régime. « Proust […] élaborait sous mes yeux le monde d'emploi des créatures que nous étions. Il mettait en mots et en paragraphes intelligibles ce qui se mouvait sous mes yeux depuis que j'étais née. »

      Laure Murat est une historienne, écrivaine et universitaire française, née au cœur de la noblesse d’empire, le 30 avril 1968 à Toulouse en France. Elle est connue pour ses travaux dans le domaine de la littérature, de la culture et de l’histoire du XIXe et du XXe siècle. Laure Murat est plus exactement une descendante en ligne directe de Joachim Murat, Maréchal d’Empire et roi de Naples, et de Napoléon 1er par le biais de sa sœur, Caroline Bonaparte.

      Comme pour la plupart des jeunes femmes issues de l’aristocratie, son avenir semble tout tracé et se résume à l’espoir d’un « beau mariage ». Pourtant, l’autrice, très rapidement, ne ressent aucune affinité avec le monde dans lequel elle a grandi. Et par la suite, elle choisit de vivre selon ses convictions et d’assumer son homosexualité que la noblesse ne « tolère » que si elle est dissimulée. Très tôt, elle quitte le domicile parental et fait le choix de prendre ses distances avec cette famille dans laquelle elle ne se reconnaît pas et ne trouve pas sa place.

      « Mais je n'ai rien à revendiquer, ni d'ailleurs à renier, d'un état civil où les hasards de la naissance m'ont jetée. Et je n'éprouve ni fierté, ni honte devant mon arbre généalogique, pour la simple raison que je ne crois, dans une existence à l'évidence socialement déterminée, ni à la loi du sang, ni à la fatalité d'un héritage envisagé comme un destin ».

      Vers 20 ans, elle entreprend la lecture de la « Recherche » et cette découverte constituera pour elle une véritable révélation : « Ma lecture de la Recherche m’a délivrée des faux-semblants attachés à l’aristocratie de mes origines, m’a instaurée en tant que sujet […] et, plus que tout, m’a ouverte au réel. »

      Dans son livre, Murat offre une analyse profonde de la vie personnelle de Marcel Proust et de ses aspects familiaux les plus intimes, qui ont laissé une empreinte indélébile chez l’écrivain. L’historienne propose un regard intéressant et une perspective originale à la biographie de Proust, afin de mieux comprendre l’auteur et son chef-d’œuvre. Son but est de montrer comment les dynamiques familiales ont pu nourrir la création de sa fresque littéraire complexe et profonde et comment tous ces éléments se sont reflétés dans ses personnages fictifs et ses récits.

      Cette approche familiale apporte un éclairage captivant sur le processus créatif de Proust, afin de dévoiler l’inconnu et trouver des justifications convaincantes à toutes les hypothèses posées. Cette démarche s’effectue à travers un voyage introspectif dans le monde aristocratique et historique du XIXe siècle, où figurent les soirées mondaines, les coutumes et les salons littéraires. Son but est

      de démasquer l’homme inconnu qui se cache derrière ce génie littéraire, afin que les Proustiens rencontrent l’humain véritable.

      L’autrice n’hésite pas à creuser profondément tout en prouvant sa maîtrise du sujet, à travers une analyse minutieuse, une documentation étayée et une recherche approfondie avec des exemples concrets extraits de ses fouilles dans les archives familiales. Son objectif était d’aboutir à une multitude d’anecdotes fascinantes et à des correspondances qui enrichissent la compréhension de la vie personnelle de cet homme masqué. L'écrivaine va ainsi tisser ce fil d’Ariane entre les petits évènements dans le but de composer un tout bien structuré. « Plus je creusais, plus je comprenais que cette scène minuscule métaphorisait le principe sur lequel toute une caste se tenait en équilibre, à la manière d’une pyramide qui repose sur sa pointe. Ce n’était pas une révélation ni même une découverte pour moi, plutôt la claire énonciation d’un savoir enfoui, informulé. »

      À travers son style d'écriture raffiné et sa profonde compréhension de l'œuvre de Proust, L. Murat offre aux lecteurs une exploration captivante de l'héritage littéraire de ce dernier et une perspective analytique unique sur la société et l'identité. Son tressage habile d'éléments historiques et d'anecdotes personnelles crée un récit saisissant qui captive l'imagination du lecteur. Cette œuvre constitue une contribution significative à l'étude de Proust et à la compréhension de son impact sur la littérature contemporaine.

      Rémie Farah

      Département de Littérature et Langue Françaises

      Faculté des Lettres et des Sciences Humaines III

      Université Libanaise


      Une façon d’aimer

      Dominique Barbéris

      Editions Gallimard, 2023 (208 p.)

      Echos d’amour

      Dans Une façon d’aimer, Dominique Barbéris nous offre un roman d'une profondeur et d'une sensibilité remarquables, explorant avec finesse les méandres de l'âme humaine et les multiples facettes de l'amour.

      L'histoire se déploie autour de personnages magnifiquement nuancés, chacun portant en lui ses propres fardeaux émotionnels et ses désirs inassouvis. À travers des destins entrelacés, l'auteure nous entraîne dans un voyage introspectif où les relations humaines se révèlent dans toute leur complexité.

      La prose de Barbéris est d'une élégance rare, captivant le lecteur dès les premières lignes. Son écriture subtile et évocatrice donne vie à des scènes poignantes et des dialogues empreints de vérité. Chaque mot semble soigneusement choisi pour sonder les recoins les plus profonds de l'âme, nous confrontant à nos propres questionnements sur l'amour, le désir et la quête de sens.

      L'une des forces de ce roman réside dans la façon dont Barbéris explore les différents types d'amour : l'amour filial, l'amour passionnel, l'amour amical. À travers ces relations complexes, elle nous invite à réfléchir sur la nature même de l'amour et sur ses multiples manifestations dans nos vies.

      Mais "Une façon d'aimer" est bien plus qu'un simple récit sur l'amour. C'est aussi une exploration de la condition humaine, avec ses joies et ses souffrances, ses espoirs et ses désillusions. Barbéris nous confronte à la fragilité de l'existence, nous rappelant que chaque rencontre, chaque étreinte, chaque adieu, est chargé d'une signification profonde.

      En conclusion, "Une façon d'aimer" est un roman captivant qui séduit par sa prose élégante et ses personnages profondément humains. Dominique Barbéris nous offre une œuvre d'une beauté intemporelle, nous invitant à plonger au cœur de l'âme humaine et à contempler la richesse des liens qui nous unissent.

      Hussein ALGANAHI

      Département de français

      Faculté des Langues

      Université de Bagdad, Irak


       

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